Berrin, Ahmet, Seyhan, Cengiz, Zehra, Ali, Sevgi, Faruk ... Hamide était journaliste, Fidan était infirmière, Canan était étudiante en biologie, Gülsüman était mère de famille et femme au foyer. Nous étions fille ou fils de patron, d’ouvrier, de fermier, d’artiste, de médecin ou parfois même de policier... Nous étions Turcs, Kurdes, Arabes, Lazes, Tcherkesses, Géorgiens ou Grecs Anatoliens... Aujourd’hui, nous ne sommes plus qu’un décompte morbide. Nous sommes ainsi 120 à avoir péri dans les grèves de la faim que nous menions pour réclamer des conditions de détention humaines. Notre hécatombe dure depuis de 5 ans. Aujourd’hui, seules nos photos sont là pour témoigner à titre posthume de notre martyre. Nos prénoms résonnent dans ceux des nouveaux grévistes de la faim : Serdar, Fatma, Serpil. C’est maintenant comme cela que nous nous appelons. Mais seulement pour quelques semaines encore, car nos jours sont comptés. Avant de vous quitter définitivement, nous tenions à vous adresser ces dernières paroles, décrivant notre calvaire quotidien.
Le 19 décembre 2000, nous avons été fauchés par les balles, gazés aux bombes fumigènes, brûlés aux lance-flammes, violés à la matraque, mutilés à coups de crosse... alors même que nous étions affaiblis par une grève de la faim de 60 jours. Cet assaut meurtrier avait été baptisé "Retour à la vie" et qualifié d’"Opération tendresse" par les autorités turques, ministre de la justice en tête. Bilan de leur tendresse : 28 morts, près de 1000 blessés. L’objectif de cette attaque militaire (qui avait mobilisé plus de 10.000 soldats, plusieurs bataillons de la gendarmerie, les unités d’élite et des hélicoptères Sikorsky, ... la dernière opération de cette envergure date de l’invasion de chypre en 1974) était de nous déporter vers leurs centres de torture dernier cri : les prisons de haute sécurité dites "de type F". 600 d’entre nous qui étaient en grève de la faim ont été alimentés de force. Ce supplice de la médicalisation forcée nous a rendu amnésiques et ataxiques. 600 d’entre nous souffrent ainsi d’un syndrome appelé "Wernicke-Korsakoff".
L’unique raison de l’acharnement des autorités turques sur nous est que nos opinions et nos idéaux leurs sont insupportables. "Les prisons de type F sont de véritables hôtels de luxe" clament-elles fièrement... Quatre murs uniformément blancs et insonorisés qui nous laissent à chacun 10 petits mètres carrés, un plateau servi d’un coup de pied par-dessous la porte comme si nous étions des chiens, des caméras omniprésentes qui nous épient dans chaque recoin de notre intimité, des gardiens qui nous assaillent à tout moment de la journée ou de la nuit, des traitements dégradants qu’il nous est parfois dur de décrire, une censure qui réduit notre courrier quasi à néant, une interdiction absolue de communiquer avec nos co-détenus eux aussi isolés, un règlement interne digne des oflags et des stalags, la privation matérielle, la privation sensorielle...
On nous dit que la peine de mort a été abolie en Turquie. Pour nous, elle a simplement changé de forme. Aujourd’hui, la mort qui nous est imposée est une mort lente, blanche, silencieuse...Une mort sans tache qui commence par le dépérissement de l’imagination, puis de la conscience, et puis du corps tout entier. Tout cela ne serait pas arrivé si l’Europe n’avait pas soutenu le régime de tortionnaires prétendument démocratique d’Ankara, ni sa politique carcérale.
Ce que nous demandons, ce n’est pas la lune : juste le droit de communiquer entre nous. Pouvoir nous côtoyer, pouvoir rire, chanter et pleurer ensemble. Pouvoir nous soigner et nous consoler mutuellement. Vivre dignement. Nous ne demandons même pas la liberté...
A vous institutions européennes, nous vous demandons uniquement de cesser de soutenir le régime assassin d’Ankara.
A vous citoyens européens, nous vous demandons uniquement de braver la censure et d’entendre notre voix afin de ne pas oublier ce que nous endurons au quotidien"
Description des mouroirs appelés "prisons de type F" ?
• Nombre : 11 établissements opérationnels. 4 en chantier.
• Capacité : 368 places dont 103 cellules pour trois et 59 cellules individuelles
• Superficie des cellules : 10 m²
• Occupants : prisonniers politiques
• Source d’inspiration : "Control Units" aux Etats-Unis, QHS en France, Stammheim en Allemagne, FIES en Espagne.
• Particularités : lieux de privation sensorielle, d’annihilation mentale et de déshumanisation.
• Couleur : Blanc monochrome.
• Adeptes particuliers : tortionnaires prônant la discrétion.
• Mode de fonctionnement : arbitraire, soumission absolue et esclavage forcé.
• Candidats à l’adoption du système de type F : Afghanistan et Soudan.
• Label officiel : Conseil de l’Europe
Pour toute info sur l’isolement carcéral :
Symposium international à Paris les 16, 17 et 18 décembre organisé par la Plate-forme internationale de lutte contre l’isolement. Info : isolation@post.com
Comité de soutien à l’Association des familles des détenus politiques de Turquie (tayadkomite@hotmail.com, 20 octobre 2005)