La Turquie reproche aux Etats-Unis de négliger sa sécurité
Ankara : de notre envoyé spécial T. 0.
[01 octobre 2005]
Depuis la reprise l’an dernier des attaques du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), les partisans d’Abdullah Ocalan sont à nouveau l’obsession d’Ankara. C’est qu’environ 4 000 combattants, éparpillés dans une quinzaine de camps, sont retranchés dans les montagnes de Qandil qui séparent sur quelque deux cents kilomètres l’Irak de la Turquie. Ils y ont installé des bases arrière après la capture de leur chef et procéderaient à des infiltrations de l’autre côté de la frontière. Leur présence est pour Ankara une source de contentieux avec les Kurdes irakiens, mais aussi avec l’Administration américaine. « Pourquoi les Etats-Unis font-ils une différence entre le terrorisme d’al-Qaida et celui du PKK ? Nous sommes à leurs côtés en Afghanistan, pourquoi ne nous rendent-ils pas la pareille ? » s’interroge Resat Arim, un ancien ambassadeur de haut rang.
Les militaires turcs qui avaient l’habitude avant la chute de Saddam de lancer des incursions en Irak pour nettoyer les sanctuaires du PKK sont aujourd’hui paralysés. Ils doivent se contenter de l’envoi d’unités spéciales chargées de surveiller discrètement la guérilla. Et l’armée turque garde un souvenir traumatique des humiliations subies par des officiers turcs interceptés et malmenés par les forces américaines lors d’une mission au Kurdistan irakien en juillet 2003. « Nous n’oublierons jamais la trahison de notre ami le plus fidèle », avait déclaré à l’ambassadeur américain, bien après l’incident, le général Hilmi Özkök, le chef d’état-major turc.
Préoccupé avant tout par la sécurité en Irak, Washington considère le dossier du PKK comme marginal. Il n’est pas question d’envoyer des commandos dans les montagnes kurdes pour traquer un nouvel et insaisissable ennemi. Pas question, non plus, d’irriter l’allié kurde. Ce soutien infaillible aux Kurdes irakiens s’est imposé depuis le refus de la Turquie de laisser passer les troupes américaines sur son sol lors de l’invasion de l’Irak. Il provoque par ricochet l’essor d’un sentiment pro-américain chez les intellectuels kurdes. « Les Américains sont nos amis puisqu’ils défendent les minorités et sont pour la démocratisation de la région », s’est exclamé sous les applaudissements nourris du public l’un d’eux lors d’un forum sur les droits de l’homme organisé récemment à Diyarbakir, en Turquie.
Faute de prise sur la situation intérieure en Irak, Ankara espère recouvrer une influence en se rapprochant du nouveau président irakien, le Kurde Jalal Talabani. Il joue, après maintes hésitations, la carte du chef de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) avec d’autant plus de conviction que contrairement à son éternel rival Massoud Barzani, le patron du Parti démocratique du Kurdistan (PDK), Jalal Talabani est peu attiré par les sirènes indépendantistes. Le plus turcophile des leaders politiques irakiens a été particulièrement bien accueilli lors de sa première visite en qualité de chef de l’Etat irakien à Ankara, une capitale où il entretient des réseaux.
Très attentives lors des tractations entre partis et communautés irakiennes, les autorités turques n’ont trouvé rien à redire à la nouvelle Constitution qui devrait être soumise à référendum le 15 octobre. Elles avaient pourtant dans un premier temps multiplié les mises en garde. Le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan redoutait un contrôle larvé des Kurdes sur Kirkouk et s’affichait en défenseur intransigeant de la minorité turcomane de la métropole pétrolifère et gazière du nord de l’Irak. En février encore, des responsables turcs menaçaient d’une intervention militaire si le statu quo de Kirkouk était remis en cause. Quant à la mouvance nationaliste, elle clamait haut et fort son rêve d’annexer une région octroyée à l’Irak lors du traité de Sèvres (1920) après la chute de l’Empire ottoman. Mais en quelques mois le ton a changé. Le gouvernement juge convenable une Constitution qui consacre le fédéralisme dans un Etat décentralisé et pourrait à terme conduire à un démembrement du pays. « Les Turcs admettent un texte qui fait la part belle aux Kurdes car ils considèrent que Talabani est une garantie du fédéralisme. Ils espèrent le convaincre qu’il n’est pas dans son intérêt d’avoir sur son sol un PKK qui lui crée des problèmes », note un observateur européen.