« À la fin de la grève de la faim, il avait l’air d’un cadavre, il n’y a pas d’autre mot pour désigner son état ». C’est ainsi que Xantal Aranbel décrit son compagnon, Daniel Dergi, après 63 jours de grève de la faim. « Que doit-on faire pour qu’aucun prisonnier ne risque plus sa vie ? », se demande Juan Kruz Aldasoro, qui, en 1997, avait jeûné pendant 37 jours, au Séminaire de Iruñea/Pampelune. « Il faut faire pression pour que cela ne se reproduise pas », insiste David Pla.
David PLA | 39 jours de grève de la faim au Séminaire et plusieurs jeûnes en prison
David Pla, tout comme Juan Kruz Aldasoro, a été un des grévistes de la faim du Séminaire de Iruñea/Pampelune, en 1997. Après 39 jours sans manger, il avait été transféré en ambulance à l’hôpital, alors qu’il ne pesait plus que 38 kilos. Mais cela ne fût pas sa seule grève de la faim. Au cours de ses six années d’incarcération, il a mené plusieurs jeûnes.
« Il y a eu différents moments. Je me rappelle du soutien des gens, mais aussi des jours d’affaiblissement et comment, à mesure que passaient les jours, je sentais une plus grande faiblesse. La légitimité de nos revendications nous donnait de la force », rappelle-t-il, revenant sur ces journées au Séminaire de Iruñea/Pampelune.
« Chaque personne le vit différemment. Les premières semaines, nous consacrons toutes nos forces à la diffusion la plus large possible des raisons de notre grève de la faim et à exiger le rapprochement des prisonniers. Peu à peu, nous sentions notre affaiblissement physique et psychologique et, de ce fait, à un moment, nous avons décidé de réduire le nombre de visites, parce que nous n’étions plus capables d’absorber toutes ces démonstrations de soutien », détaille-t-il. Il insiste sur le fait que la source d’énergie était « notre totale conviction que la grève de la faim méritait la peine ».
Comme Aldasoro, il remarque qu’il y a un abyme entre les conditions dans lesquels ils étaient et celles de la prison. « Lorsque nous nous sentions réellement faibles, nous appelions l’ambulance, ils nous conduisaient à l’hôpital et nous y recevions un traitement adéquat, ce qui n’est pas le cas en prison. En étant prisonnier, tu n’as pas le soutien si proche que celui que nous avions, ni la possibilité de contrôler l’environnement, comme la température par exemple. Et je ne parle même pas de l’arrêt de la grève de la faim... la récupération n’est pas la même », raconte-t-il. « Il n’y a pas d’alimentation adaptée, ils te donnent ce qu’il y a. Tu dois trouver toi-même tes propres alternatives ».
La solitude aussi est accentuée, puisque « quand tu retourne en cellule, tu n’es qu’avec toi-même, avec tes pensées et ta faiblesse physique ».
Pla encourage les gens à dénoncer la situation que traverse Iñaki de Juana et, en général, le Collectif des Prisonnier(e)s Politiques Basques. Il plaide pour que ces démonstrations de solidarité se transforment en initiatives concrètes. « La lutte de Iñaki est celle de tous et nous devons faire face, avec lui, pour que telle situation ne se reproduise pas ». -
Xantal ARANBEL | Compagne du prisonnier Daniel Dergi, 63 jours de grève de la faim
Le souvenir que j’ai est celui d’un sentiment de grande agression, avant même que la grève ne commence. Après, tu l’affrontes et tu tentes de t’appuyer et de t’aider de ce que tu peux, parce que tu sais pour quelle raison tu le fais. Mais en même temps, cela ne t’enlève pas l’envie de lui dire « arrête, tu mets ta vie en jeu ». C’est un tas de sentiments contradictoires qui se mélangent », déclare Xantal Aranbel, rappelant la grève de la faim de 63 jours menée par son compagnon, Daniel Dergi, il y a six ans.
« Tu le vois une demi-heure à la visite, mais n’étant pas qualifiée pour qualifier son état, tu ne sais pas comment il est vraiment », ajoute Aranbel.
La situation empira quand Daniel Dergi fût transféré à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes. « Ils ne me permettent pas d’accéder aux parloirs individuels et l’obligeait à descendre aux salles collectives s’il voulait la visite. Il en était à 55 jours sans manger et les médecins disaient qu’il pouvait le faire mais, en même temps, ils l’avertissaient du risque d’un arrêt cardiaque ou d’un accident cérébral », ajoute-t-elle.
A la préoccupation quant à de possible conséquences de la grève de la fin, Aranbel ajoute la pression du personnel sanitaire et pénitentiaire. « Ce type de protestation les énerve beaucoup, et plus encore lorsqu’il en est question dans les médias », signale-t-elle
« A la fin de la grève, il avait l’air d’un cadavre, il n’y a pad d’autre mot pour définir son état ».
« Il ne pouvait plus se tenir debout. Le personnel de l’hôpital civil auquel il avait été transféré depuis Fresnes essayait de l’aider, mais son corps n’acceptait même plus l’eau. Ils ne pouvaient pas lui faire de prise de sang parce que les veines cédaient. Je n’avais jamais imaginé le voir dans cet état et, malgré cela, il avait toujours les idées très claires. Sa détermination et son énergie mentale étaient intactes et il expliquait aux infirmières les raisons de son action », souligne-t-elle.
Mais il y avait des moments difficiles quand même. « Ce que je n’imaginais pas, c’est que cela allait être pire après la grève de la faim, puisqu’il n’a eu aucun suivi médical ou traitement spécifique alors qu’il avait perdu les cheveux, plusieurs dents et souffrait d’incontinence. Lui-même a dit que cela avait été pire que la grève de la faim ».
Bien que cela paraisse incroyable et contre toute logique, le premier aliment qui a été donné à Dergi après 63 jours de grève de la faim a été du poulet rôti. « Le seul traitement qu’ils utilisaient dans la prison était de lui administrer des pastilles pour qu’ils soient semi inconscients. Il lui a fallu entre un an et demi et deux ans pour se remettre », dénonce Aranbel, six ans après les faits, mais avec le souvenir de détails encore frais.
Voyant la situation actuelle dans les prisons, elle assure être « terrorisée » à l’idée de revivre une telle chose. « Ca me terrorise, parce que tu es partagée entre le rationalisme, la compréhension de sa décision, parce qu’il arrive à un point où il ne peut rien faire d’autre pour se faire entendre, et tes sentiments. Pour lui et la famille, une grève de la faim est quelque chose de très dur à supporter et, quand tu ne peux pas être prêt de lui, c’est encore pire ».
« Tous les jours, je pense à ce qui arrive à Iñaki de Juana et à sa famille. J’espère de toutes mes forces que tout se terminera bien pour lui et que cette grève de la faim sera la dernière qu’auront à faire les prisonniers ».
Juan Kruz ALDASORO | 37 jours de grève de la faim au Séminaire de Iruñea/Pampelune
Juan Kruz Aldasoro était une des neuf personnes qui, en 1997, réalisèrent une grève de la faim au Séminaire de Iruñea/Pampelune, pour le rapprochement des prisonniers. Il faisait partie d’une grande dynamique dont le zénith a été le jeûne tournant qui dura des mois à la Cathédral du Bon Pasteur, à Donostia/Saint Sébastien.
« C’était une initiative très spéciale. Le soutien de la rue était énorme. Notre objectif était d’être les porte-voix de la lutte que les prisonniers réalisaient dans les prisons et de leurs revendications », rappelle-t-il, neuf ans plus tard. Ce travail de « porte-voix » l’a conduit à s’entretenir avec des partis politiques et un très grand nombre de personnes, parmi lesquels le Parlement de Navarre.
« Faire, dans ces conditions, une grève de la faim, n’a absolument rien à voir avec la faire en prison, dans la solitude de la prison et face au regard des gardiens. Bien que notre grève ait eu une valeur, elle n’est pas comparable avec ce que font les prisons », relativise-t-il.
Interrogé sur la protestation de Iñaki de Juana, il déclare que cela produit « des frissons et du respect ». « Même en sachant les graves conséquences possibles, il a décidé de mettre sa vie en danger pour la défense de sa dignité et de ses droits. Indéniablement, quand un prisonnier est capable de faire une protestation telle, c’est qu’il a des raisons de poids et qu’il ne voit pas d’autre issue. Très souvent, la société ne se rend pas réellement compte qu’ils risquent leurs vies pour leurs droits », estime Aldasoro, tout en lançant la réflexion suivante : « que devons-nous faire pour que personne ne risque plus sa vie ? Nous ne devrions pas permettre qu’un prisonnier meure en cellule. Cela implique la responsabilité de chacun ».