Le 25 mars 2006, le Palais de Justice de Grenoble ouvrait exceptionnellement ses portes un samedi. Après 40 heures de garde-à-vue, 13 jeunes hommes y étaient jugés en comparution immédiate. Long de 8 heures, le procès s’est terminé sur leur condamnation à plusieurs mois d’emprisonnement avec sursis.
Ils étaient accusés d’avoir, jeudi 23 mars durant les affrontements qui ont suivi la manifestation grenobloise anti-CPE :
participé à un attroupement (c’est-à-dire à un rassemblement non autorisé)
lancé vers la police un ou plusieurs projectiles (pierres, bouteilles, canettes, boules de terre)
porté une "arme" (par exemple, une pierre dans sa main)
incendié le contenu de poubelles vertes
brisé une vitrine (celle d’un coiffeur Jean-Louis David)
pris la fuite et donné un coup de poing à une policière (qui est venue témoigner et qui a obtenu un euro symbolique)
dégradé une porte cochère en voulant l’ouvrir pour se réfugier derrière (la police a constaté "un certain jeu dans la partie basse de la porte").
... (j’en oublie peut-être, et l’intitulé des délits était plutôt en jargon juridique)
La plupart des prévenus étaient accusés au moins des deux premiers délits, à quelques nuances près, et ont pris 4 mois de prison avec sursis. Le garçon qui a donné le coup de poing (en se débattant durant son interpellation) est le seul à avoir pris 5 mois avec sursis.
Etonné sur le moment par la brutalité de la police, un garçon a déclaré s’être dit qu’il "n’y avait pas de justice". Il restait dans le gros du groupe émeutier parce qu’il craignait de rentrer seul chez lui en voyant toutes les arrestations arbitraires qui avaient lieu dans les rues alentour. Apparemment il a fini par se trouver un peu trop près d’une poubelle en flammes.
Beaucoup d’autres reconnaissaient avoir lancé des projectiles vers les forces de l’ordre dans un geste de rage ou de dépit, sans chercher particulièrement à blesser quelqu’un, manquant parfois largement leur cible.
Agés de 18 à 22 ans, la plupart des prévenus avaient un casier vierge. L’un prépare un CAP paysagiste, l’autre les concours d’entrée d’écoles d’ingénieurs. L’un a son diplôme d’animateur BAFA, l’autre est SDF depuis trois semaines...
Le tribunal a été particulièrement sévère, suivant de près les réquisitions du procureur, qui demandait, lui, 4 mois de prison dont 3 avec sursis pour la plupart des accusés.
Comme souvent, le juge s’est adressé aux prévenus sur un ton extrêmement paternaliste et moralisateur. Quand ils avaient terminé de raconter leur délit, il leur demandait "alors, qu’est-ce que vous en pensez ? qu’est-ce que vous en dites ?". Il n’obtenait en réponse qu’un silence gêné d’écolier grondé, ou alors un "j’ai eu le temps d’y réfléchir en garde-à-vue" qui évoque bien la machine à culpabiliser que constituent les geôles froides et mornes de l’hôtel de police. Quand les accusés avaient des échéances importantes devant eux (une naturalisation française, des partiels...), le juge enfonçait le couteau en leur demandant s’ils réalisaient ce qu’ils avaient compromis pour leur avenir en agissant comme ils avaient agi. Et quand il leur annonçait le verdict, le même refrain lancinant revenait : "cette peine est un sursis simple, c’est-à-dire qu’elle ne sera pas exécutée si vous ne commettez pas d’autre délit dans les 5 prochaines années. J’espère que cela vous fera réfléchir." Courbez la tête, et restez tranquilles.
(To be continued... compte-rendu rédigé à la va-vite en rentrant du tribunal, il y aurait plein de choses à rajouter, n’hésitez pas à le faire au moyen des commentaires)