Rafa Diez / Assesseur de l’ETA en 1989 à Alger Eugenio ETXEBESTE
Antton / Porte-parolede l’ETA en 1989 à Alger
En 1989, une table de "conversations" s’est mise en place à Alger
(Algérie), avec les représentants du gouvernement socialiste de Felipe
Gonzalez, les représentants de l’ETA, et le gouvernement algérien comme
médiateur. Des discussions qui ont duré trois mois, mais qui n’ont pas
été concluantes même si un accord de principe avait été conclu. En
1999, c’est le gouvernement conservateur de Jose-Maria Aznar qui entama
des discussions avec la direction de l’ETA à Zurich (Suisse), des
discussions qui n’aboutiront pas non plus.
À l’aube de ce qui pourrait être un processus de Paix en Pays Basque,
avec notamment la négociation entre ETA et le gouvernement espagnol et
peut-être le gouvernement français, le JPB a rencontré Eugenio
Etxebeste Antton et Rafa Diez. Antton était en 1989 l’un des trois
porte-parole de l’ETA, avec Belen Peñalba et Iñaki Arakama. Rafa Diez,
député d’Herri Batasuna au Parlement basque de Vitoria, avait été
invité en tant qu’expert assesseur afin de suivre les conversations
entre ETA et le Gouvernement, avec à ses côtés également d’autres
représentants de la gauche abertzale, entre autres Iñigo Iruin. Au
moment de ce qui pourrait être les troisièmes "conversations" entre ETA
et le gouvernement espagnol, nous avons ainsi voulu connaître de plus
près ce que furent les "conversations" d’Alger, quels avaient été les
contours de ce dialogue et quelles leçons les acteurs principaux
tirent-ils de ce processus. Un entretien à Bayonne, il y a dix jours, à
la veille des derniers évènements politiques en Pays Basque sud.
Comment se met en place le processus d’Alger ?
Eugenio Etxebeste Antton : Le processus d’Alger ne se met pas en place
du jour au lendemain. Ce fut assez long, près de deux ans. Tout d’abord
c’est Txomin Iturbe (ndlr. leader à l’époque de l’ETA, aujourd’hui
décédé) qui avait eu les premiers contacts avec des responsables de la
police espagnole. Après plusieurs contacts, des réunions avec des
représentants plus politiques du gouvernement espagnol avaient eu lieu.
Le gouvernement décida donc de mandater le délégué du gouvernement de
Murcie Juan Manuel Eguiagaray et le Secrétaire d’Etat du ministre de
l’Intérieur Rafael Vera, afin de donner un caractère politique aux
"conversations". Le contact avait eu lieu à Alger, sous la houlette du
Gouvernement Algérien.
Comment les deux parties décident-ils de se mettre autour d’une table
et de commencer les conversations ?
Antton : Les conversations d’Alger arrivent à un moment où la
confrontation politico-militaire arrive au bout, arrive à épuisement.
Après des années où l’organisation ETA est très active, l’organisation
affiche sa volonté de passer d’un processus de confrontation militaire
à un processus politique afin de résoudre le conflit par des voies
politiques, par le dialogue et la négociation et l’accord politique. Le
gouvernement espagnol arrive également à la même conclusion, non tant
par volonté, mais par intérêts stratégiques de l’Etat, puisque Madrid
était également à la fin d’un cycle. Après avoir tout essayé, en
utilisant tous les moyens policiers et militaires, ils se rendent à
l’évidence qu’il n’est pas possible de détruire le mouvement de
libération nationale basque. Ce sont donc une volonté, -celle de
l’organisation ETA- et un intérêt de gestion de la part de l’Etat qui
se rencontrent afin de surmonter la confrontation qui est très lourde
de conséquences de part et d’autre. Il s’agissait d’essayer des voies
plus politiques, en initiant des conversations politiques.
Rafa Diez : Les conversations d’Alger arrivent après que le
gouvernement espagnol du PSOE eut tout tenté à l’époque pour éliminer
la gauche abertzale. La création des GAL, l’accentuation de la
répression, tous les moyens sont bons pour éliminer la gauche
abertzale. Mais en dépit de cela, l’activité de l’ETA était au plus
fort. Avec la majorité absolue obtenue en 1986, le PSOE commence les
premiers contacts. La réunion à Latche entre Felipe Gonzalez et
Mitterrand mettra fin au GAL. Au Pays Basque, le PNV sera affaibli par
la scission avec la création de Eusko Alkartasuna, et devient un allié
nécessaire du PSOE, qui a par ailleurs le PSN à la tête de la Navarre.
Le PSOE était alors en position de force pour pouvoir engager une
politique différente, une stratégie différente.
Antton : Alger a été mise en place pour débloquer une situation de
confrontation politico-militaire et ainsi passer à une phase
d’apaisement par un accord politique.
Rafa Diez : Alger a été un processus très intéressant, mais n’arriva
pas jusqu’au bout parce que le gouvernement n’avait pas voulu aller
jusqu’à la négociation politique. Le processus était resté au seuil des
vraies négociations politiques. C’était la première fois que le
gouvernement espagnol reconnaissait un interlocuteur politique en ETA,
et acceptait ainsi de résoudre le conflit par le dialogue. Le
gouvernement espagnol était conscient que la transition démocratique
n’était pas allée jusqu’au bout en Espagne. Des statuts d’autonomie
avaient été mis en place, mais Madrid se rendait bien compte que ceci
ne suffirait pas afin de répondre aux aspirations légitimes du Pays
Basque. Les droits démocratiques des Espagnols étaient enfin reconnus
après 40 ans de dictature, mais les droits des Basques aucunement.
Alger a démontré qu’une seconde transition était nécessaire du point de
vue espagnol, mais une première transition du point de vue du Pays
Basque, un processus qui reconnaîtrait ses droits démocratiques en tant
que peuple. Je pense qu’aujourd’hui cette réalité apparaît encore plus
clairement. Il est évident que la situation politique actuelle est
arrivée à bout aussi bien au sud qu’au nord.
Ces jours-ci on parle beaucoup d’une éventuelle trêve de l’ETA. Quand
le cessez-le-feu est-il arrivé à Alger ?
Antton : Les premiers contacts se sont noués, et nous avons décidé d’un
commun accord qu’ETA annoncerait une première trêve unilatérale de 15
jours, afin de permettre au gouvernement espagnol de lancer un
processus de son côté afin de mettre en place une table de
"conversations" entre le gouvernement et ETA. C’est ainsi que la "table
des conversations" s’est mise en place et que l’organisation a décidé
une trêve limitée à trois mois, afin de permettre les conversations.
Pendant trois mois nous avons eu plusieurs réunions. Nous avons d’abord
examiné la situation, comparé les analyses des dernières décennies en
Espagne et en Pays Basque et nous avons fait des propositions pour
passer d’une table de conversations vers une table de négociations. Une
table de négociations où ETA aurait un rôle technique afin de discuter
avec le gouvernement du sort des prisonniers et des réfugiés. Une
deuxième table de négociations devait donc se mettre en place avec les
acteurs politiques et sociaux du Pays Basque afin d’engager des
négociations politiques. Donc pendant ces trois mois, nous avons
élaboré et imaginé comment devait se dérouler cette négociation entre
ETA et le gouvernement, ainsi que la négociation entre les acteurs
politiques. Après plusieurs réunions, nous sommes finalement arrivés à
un accord avec les émissaires du gouvernement, un accord afin de lancer
un processus de négociations politiques. Malheureusement, quand les
représentants du gouvernement sont rentrés à Madrid, ils ont été
désavoués, puisque Madrid n’a pas souhaité aller plus loin pour trouver
une "solution politique négociée". Pour nous, la solution politique
négociée était la condition pour continuer le processus et créer une
table de négociations. Madrid n’a pas souhaité continuer, les
conversations se sont arrêtées, et la trêve avec.
Rafa Diez : Plusieurs éléments ont pesé dans la décision de Madrid de
ne pas continuer. D’une part il leur était difficile d’admettre qu’ils
étaient arrivés à un accord avec une "solution politique négociée"
avec l’ETA. Ceci donnait un poids politique de taille à ETA, chose
qu’ils ne voulaient pas admettre. D’autre part, le Parti Nationaliste
Basque au pouvoir à Gasteiz, ne voyait pas non plus d’un bon ¦il le
protagonisme politique qu’était en train de prendre la gauche
abertzale. Ils ont donc également fait pression pour défendre leurs
intérêts politiques avant tout et ne pas donner une carte de légitimité
à la gauche abertzale.
Quelles conclusions tirez-vous de cette table de conversations quant
à ce qui pourrait être aujourd’hui un processus de même nature ?
Rafa Diez : À l’époque, la négociation était vécue comme un tout. La
négociation était une totalité en soi, qui n’avait pas de traduction
sur le terrain de la construction nationale et sociale. Aujourd’hui la
situation est plus mûre pour un processus de négociations. Je pense que
la gauche abertzale présente une meilleure situation, pour diriger
toutes ses forces vers la mise en place d’une lutte de masse et
institutionnelle. Les bases d’une solution apparaissent également plus
clairement et sont partagées par un ensemble important d’acteurs
sociaux, syndicaux et politiques, et surtout, par une grande majorité
de la société basque. Une solution politique basée sur la
reconnaissance des droits démocratiques du peuple basque, le droit des
Basques à être consultés et à décider de leur avenir.
Antton : Alger était une expérience très intéressante qui ne manquera
pas d’aider un futur processus. Alger aide à comprendre qu’une
démocratie ne peut être valable pour les uns sans l’être pour les
autres. L’Espagne est peut-être une démocratie, mais pas pour les
citoyens basques, tant que leurs droits démocratiques ne seront pas
reconnus. Il nous faut donc négocier une solution politique afin que la
démocratie soit également une réalité en Pays Basque.
Rafa Diez : Depuis Alger un schéma apparaît clairement : un peuple,
deux Etats, un conflit et une solution. À partir de ce schéma nous
devons examiner comment développer la solution en partant de la
situation administrative et politique existante. Je pense que c’est le
terrain sur lequel nous voulons le plus avancer. À Alger la vision
abertzale n’était peut-être pas assez mûre. Aujourd’hui elle l’est. Le
conflit basque apparaît très clairement comme un conflit entre le
peuple basque et deux Etats. Un conflit qui concerne l’ensemble des 7
provinces, qui demande une solution pour l’ensemble.
Justement quel a été le rôle de la France à l’époque d’Alger et à
votre avis quel devrait être son rôle aujourd’hui ?
Antton : Je pense qu’à l’époque la France n’a pas été à la hauteur. La
France a une grande expérience en matière de résolution de conflits de
par le monde. On ne s’attendait pas à une telle attitude de suivisme de
la part de la France. Paris s’est soumis aux ordres de Madrid. Après le
GAL les expulsions en masse, la déportation, puis la répression.
Aujourd’hui la France est un élément très important du conflit en Pays
Basque et devra aussi comprendre que la solution viendra par le
dialogue et la négociation. La France comme l’Espagne ne peuvent plus
ignorer la volonté du peuple basque et de ces citoyens. Ils devront tôt
ou tard tenir compte de la réalité et de la demande d’un peuple.
Rafa Diez : Parfois on a l’impression que la France est un agent qui se
limiterait à la collaboration avec l’Espagne, comme si elle
n’intervenait pas directement. La France a une intervention double et
directe. Tout d’abord en Pays Basque nord, en Labourd, Basse Navarre et
Soule, où elle ne reconnaît pas les aspirations légitimes des Basques.
Le refus de la demande de reconnaissance institutionnelle ou
linguistique est bien réel. C’est une attitude de négation propre à la
France. Et un deuxième rôle, qui s’ajuste à la demande espagnole avec
toutes ces arrestations, remises et maintiens en détention et la
dispersion de plus de 150 prisonniers politiques basques. La France
fait donc partie du confit et devra faire partie de la solution. Je
pense qu’un processus de négociations en plusieurs étapes est tout à
fait concevable. Dans une première phase le gouvernement français
pourrait dire que cela ne concerne que l’Etat espagnol, mais la France
devra prendre partie à ce processus de résolution du conflit, parce
qu’elle en est actrice. La France y participera qu’elle le veuille ou
pas, c’est inévitable.
Antton : La France a toujours évoqué le problème des prisonniers et des
réfugiés. Mais il y a une question de fond, le Pays Basque est divisé
entre deux Etats, et les deux Etats doivent faire partie de la
solution. Trois provinces sont sur le territoire français et la France
ne pourra pas toujours ignorer cette situation, se cachant derrière la
négation et la répression.
Rafa Diez : La France s’est barricadée dans une situation immobiliste
ne voulant pas faire partie d’un processus évolutif en Pays Basque.
Aujourd’hui cette position n’est plus tenable. La recherche de
solutions atteindra inexorablement la France, aussi bien en ce qui
concerne la situation des réfugiés et des prisonniers politiques
basques, mais également par rapport aux droits des Basques à décider de
leur avenir. Un effet domino est inévitable.
Selon les informations que vous détenez ou que vous pouvez dévoiler,
où en est-on dans le processus de Paix en Pays Basque ?
Rafa Diez : Nous sommes dans une phase de concrétisation des volontés
politiques qui ont été affichées ces derniers mois, afin de construire
un scénario de paix et de négociations politiques entre les différents
acteurs du conflit en Pays Basque. Comme le dit si bien Jose-Luis
Rodriguez Zapatero lui-même : "tout ce qui a été semé devra être
récolté". Aujourd’hui nous sommes dans une phase où l’on doit
déterminer quels sont les fruits qu’ETA et le gouvernement doivent
récolter et quels sont les fruits que les partis politiques doivent
récolter. D’une phase d’affichage de volontés nous devons passer à une
concrétisation de ces volontés. De la part de la gauche abertzale,
cette volonté est très ferme, afin que nous puissions passer à une
nouvelle situation. Réciproquement nous espérons que l’autre partie
confirmera cette même volonté avec des gestes et des engagements
parallèles.
Antton : La société est plus mûre et souhaite une solution qui
reconnaisse les droits de chacun des peuples. Je pense même
qu’aujourd’hui les Etats sont en crise et qu’ils auront beaucoup à
apprendre des nations sans Etat qui émergent.
Rafa Diez : Nous sommes face à un nouveau cycle. Comme à l’époque
d’Alger, nous sommes dans une situation de changement au nord comme au
sud. L’organisation administrative actuelle ne répond pas aux
aspirations du peuple basque. Nous avons le droit de décider de notre
avenir. Les deux gouvernements savent que d’une façon ou d’une autre
ils devront répondre à cette demande pour qu’une réelle démocratie
puisse s’installer. Nous avons des conditions objectives et subjectives
pour dire que nous sommes à l’aube d’un temps nouveau, au début d’une
nouvelle étape.