Peio SERBIELLE - Texte lu lors de l’Ongi etorri célébrée à Maule (11 février 2206)
Partager la fraternité
Aujourd’hui, je me dois de vous le dire, est un grand jour. Non point
seulement parce que je me trouve ici, enfin libre d’une histoire
rocambolesque qui n’aurait jamais dû se produire dans ce pays de France
autoproclamé parangon des Droits de l’homme, mais parce que, dans le
contexte juridique actuel du scandale d’Outreau, enfin ! dirai-je,
enfin ! un juge des Libertés et de la Détention a utilisé sa conscience
et son libre arbitre. Et ce, malgré les injonctions de la juge
d’Instruction, Mme Marie-Antoinette Houyvet, qui demandait pour la 5e
fois le renouvellement de mon mandat de dépôt pour, je cite : "les
besoins de l’enquête et le risque de trouble à l’ordre public
occasionné par les faits reprochés".
Je vous remercie très vivement, Monsieur le Juge. Vous avez, dans votre
délibération, motivé votre décision par le fait, entre autres, que
"vous n’étiez pas aux ordres de Mme Houyvet" et je vous en sais gré.
Votre décision grandit la Justice que vous représentez.
Vous témoignez par cette décision de l’indispensable indépendance dont,
à l’avenir, les juges des Libertés et de la Détention devront faire
preuve pour lutter contre ce prurit pandémique amenant à
l’incarcération préventive systématique de nombreux prévenus "présumés
innocents" qui n’ont rien à faire en prison. Car, en France, bien
souvent trop souvent, on incarcère d’abord et on cherche ensuite les
preuves qui a posteriori, justifieront votre détention. Cela s’appelle
de l’arbitraire.
Le débat en cours autour de l’affaire d’Outreau, Messieurs les
magistrats et responsables politiques, est extrêmement simple à
résoudre. Je propose une réforme, une seule : que les juges
d’Instruction et le corps politique dans son ensemble fassent un
contrat de 1ère embauche de 6 mois en entreprise, je veux dire en
prison (section d’isolement, mitard, chosification, humiliation,
etc.Š). Je propose que l’on se retrouve à l’issue de ce stage, mesdames
et messieurs les juges d’instruction, magistrats et corps constitués,
et que l’on mutualise nos réflexions. Je suis persuadé que nous
devrions, sans trop perdre de temps en conjectures, oraisons
jaculatoires et création de commissions inutiles, arriver à
d’intéressantes conclusions. Si ma proposition vous agrée, faites-le
moi savoir dès que possible, et je serai ravi d’apporter ma modeste
contribution au débat.
Je voudrais, en ce jour de grâce, remercier tous les gens qui m’ont
soutenu, qui nous ont tous soutenus, ma famille et moi-même. Tous ceux
qui, dès le début et durant ces 16 mois et 480 jours d’enfer, de
combats, de souffrance et d’ignominie ne se sont pas débinés et ont
répondu présents, toujours présents. Sans hésiter ! Tous ceux pour qui
le mot fraternité avait, a et aura encore et toujours un sens dans ce
pays. Tous ceux pour qui le droit d’asile, la tolérance et l’accueil de
l’autre même et surtout s’il ne pense pas comme vous ! ne sont pas de
vains mots. Tous ceux pour qui la défense des droits de l’homme et du
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ne commence pas en Palestine,
en Irak, ou en Colombie et comme par hasard, trop souvent, s’arrêtent à
la frontière de l’hexagone.
Je remercie, en premier chef, ma famille. Mes parents, de qui j’ai
appris ce sens de l’accueil et de l’hospitalité. Mon père qui, pendant
la guerre, alors qu’il était entré en résistance, fut blessé un certain
jour de juin 1944 parce qu’il ne s’était pas arrêté à un contrôle de
l’Armée allemande. Blessé, laissé pour mort dans un fossé, c’est grâce
à des gens que je ne connais pas, que j’ai eu la chance je dis bien la
chance de connaître mon père. Et depuis, j’ai toujours entendu chez moi
que la porte se devait d’être toujours ouverte pour celle ou celui qui
avait faim, qui avait soif ou qui n’avait pas de gîte.
Alors, entendez bien, oyez, oyez, mesdames et messieurs les dirigeants
!! Si nous sommes libres dans ce pays, c’est grâce à des gens comme mon
père. Vous, vous l’avez oublié !! Moi, non ! Et c’est cette liberté-là
dont, précisément, j’ai fait usage.
Vous, c’est au nom de cette même liberté que vous m’avez condamné, sans
preuves à charge, à 16 mois d’incarcération dont 7 à l’isolement.
Sept mois à survivre comme un rat, comme un chien, comme un porc dans 7
m2. Je l’ai écrit à M.Perben, cher ministre de l’Injustice !!
"N’eussent été mes pratiques immodérées de la lecture et de l’écriture,
ma vie en aurait été réduite à des besoins que je ne saurais nommer
ici".
Je remercie aussi ma mère, Pierrette, qui a eu le courage de venir à
tous les parloirs. Parce qu’elle aussi se sentait "en prison". Tu sais,
maman, je n’oublierai jamais ce que tu m’as dit, un jour, lors d’un
parloir à la maison d’arrêt de moulins : "Quand je viens te voir, les
jours où je reste à Moulins dans l’attente du prochain parloir, je ne
sors pas. Je reste enferméeŠ pour être comme toi. Avec toi". Tu sais,
maman, cela s’appelle de l’empathie. Souffrir, compatir, partager avec
l’autre sa souffrance et ses espoirs.
Nous avions décidé de mener un combat sur deux fronts, juridique et
médiatique. Nous nous sommes donc battus. Tous ensemble. Unis comme les
doigts d’une main. Je remercie Jean-Bernard. Il paraît, mon frère, que
nous avons rajeuni de 25 ans. Mais c’est donc 25 ans de plus à vivre,
mon cher JB. Sache que je n’oublierai jamais tout ce que tu as fait
depuis que je t’ai nommé mon attaché de presse particulier et
producteur de spectacles. Tu as découvert ce monde particulier de la
communication et du 4ème pouvoir. C’est bien souvent trop souvent je le
regrette ! un monde impitoyable qui préfère se repartir des rogations
nauséabondes des affaires à scandale plutôt que de défendre au moment
opportun des causes justes. Tu as su, mon frère, par ton talent, ouvrir
des portes, convaincre, trouver des alliés fidèles. Sois en ici
remercié ! Tendrement.
Je remercie Gérard et Jenofa. Aï Jenofa !! ma s¦ur qui, un jour de
parloir à Angoulême, est tombée dans mes bras en pleurs et m’a chuchoté
au creux de l’oreille : "ils ne peuvent pas te faire ça à toi !!" Eh
oui, Jenofa ! À moi et à tant d’autres, enfants de cette terre
vitamine, fils de la Lune et du Soleil. Merci à toi aussi d’avoir été
là. Tu m’as nourri de ton regard et de ton sourire d’espoir à la vie.
Merci aussi à Françoise, mon amie, Catherine et Robert, mes managers et
compagnons de bohème dans ce voyage d’artistes exigeant. Merci pour
votre regard tutélaire et discret à la fois.
Merci encore à vous tous, soutiens de la première heure : Noël Mamère,
Didier Borotra, Gérard Onesta, Alexandre Héraud notre cousin !, Renaud,
Christian Laborde, Florence Delay, Mgr.Molères, Jacques Gaillot mon
frère dans l’Humain !, Marc Legras, Isabelle Dhordain et tous les
autres, en Pays Basque, en France, en Espagne, Belgique, Angleterre,
Italie, Suisse, Allemagne, Canada, USA et ailleurs. J’ai su que vous
étiez là. Vous m’avez fait signe. Votre chaleur, vos messages
manuscrits, dactylographiés ou radiophoniques pleins d’humour, d’amour
et de tendresse m’ont été d’un précieux secours.
Ils m’ont permis de rester en haleine. J’ai guetté 16 mois durant,
quotidiennement, hebdomadairement, vos voix à l’extérieur, ces
chiquenaudes au non-sens et à la douleur infamante.
Merci aussi à toi, Jean-François, mon avocat et ami de longue date. Tu
le sais, nous le savons, ce combat n’est pas terminé. Ce n’est qu’un
armistice ! Je sais, nous savons aujourd’hui que nous avons encore
beaucoup à faire pour que, dans ce pays, les juridictions d’exception
soient mises au rancart.
Parce que dans une Démocratie véritable, on ne pourra jamais
s’accommoder de l’arbitraire ! Parce que dans une Démocratie, on se
doit de respecter le droit et le désir des peuples à aller vers
eux-mêmes. Pour mieux aller vers les autres. Je ne suis, quant à moi,
qu’un simple humaniste. Un artiste. Un démocrate. Fondamentalement !
Pas un homme politique !!
Et j’ai du mal à comprendre que, dans ce Pays Basque, des partis
démocrates-crétins pactisent avec le diable. J’ai du mal à comprendre
que dans le Parlement que nous administrons, l’on puisse concomitamment
voter pour le Droit des Basques à l’autodétermination et intra-muros,
interdire manu militari un acteur politique important, au motif que nos
adversaires l’ont condamné à mort sous des prétextes fallacieux. La
tolérance, je le disais in supra, c’est accueillir l’autre, même et
surtout s’il ne pense pas comme nous.
J’en ai marre aussi de cette France qui ne supporte pas l’altérité, de
cette France arrogante, hautaine, royaucrate qui oscille constamment et
tour à tour entre la condescendance, l’obséquiosité et la matraque.
Nous sommes des citoyens adultes et nous demandons à être respectés
comme tels.
Notre avenir, il est à la non-violence active. "Les Armes et les Mots
c’est pareil ! ça tue pareil", disait Leo Ferré. Pour ma part, j’ai
toujours cru à la Force de la persuasion, par la Beauté, un cri, une
larme, un sourire ou une main tendue à la Douleur que l’on tait.
Il nous appartient, aujourd’hui, à nous les Basques, d’apprendre à
désobéir à ce qui ne nous correspond plus.
Notre avenir est à la Liberté et à la Fraternité avec les autres
humains et les autres peuples également en marche. Egalement en haleine.
Nous sommes ne l’oublions pas ! enfants de la Lune et du Soleil, et
frères de notre mémoire, nous nous devons de rester curieux de demain.
Mon dernier regard, mon dernier sourire, mes derniers remerciements
sont à vous, mes amis journalistes, en Pays Basque, en région, au
niveau national et international, à vous tous, fidèles, curieux et
profondément respectueux de l’autre, à vous tous intrinsèquement
convaincus du caractère prospectif de votre passion, et très soucieux
de votre devoir d’informer en toute indépendance, à vous tous qui avez
résisté à cette foutue omerta ambiante dès lors qu’il s’agit d’affaires
touchant au prétendu terrorisme.
J’adresse enfin de gros et doux baisers à mes amis artistes qui, dès le
départ, et aujourd’hui encore, se sont engagés à répondre présents par
leur coopération artistique. À toutes et à tous je vous embrasse,
tendrement.
Nous avons décidé avec l’association Danse avec les ours et avec tous
ceux qui voudront s’associer à cette dynamique strictement humanitaire
de poursuivre ce combat avec des mots et de la musique. Des concerts se
tiendront dans les semaines et les mois à venir, en Pays Basque, en
France et ailleurs. D’autres actions de sensibilisation également.
L’Art au secours de la Liberté. Du droit d’asile. Contre l’arbitraire.
Pour l’arrêt des traitements infamants (isolement, mitard,
chosification, humiliation, etc.). Pour le rapprochement et contre la
dispersion des prisonniers politiques.
L’Art pour tout simplement défendre et partager la Fraternité avec tous
les Humains et avec tous les Peuples.
Sans ostracisme. Sans violence. Avec respect. Je vous dis "À bientôt !".
Milesker. Merci.