La défense a provoqué un coup de théâtre au procès en appel des commanditaires présumés de l’assassinat de Claude Erignac en démontrant qu’une pièce essentielle de l’accusation avait été antidatée.
Roger Marion, ex-patron de la Division nationale antiterroriste (DNAT), a par ailleurs dû admettre qu’il n’existait pas de preuves formelles de l’implication de Jean Castela, 46 ans, et Vincent Andriuzzi, 50 ans, dans la mort du préfet de Corse en 1998.
En première instance, en juillet 2003, les deux accusés, emprisonnés depuis novembre 1998, ont été condamnés malgré leurs protestations d’innocence à trente ans de réclusion pour avoir préparé l’assassinat et rédigé les communiqués de revendication.
Me Eric Dupond-Moretti, avocat de Jean Castela, a fait remarquer vendredi que le procès-verbal de la DNAT qui met en cause pour la première fois Jean Castela dans le dossier Erignac était antidaté.
Daté du 20 août 1998, ce document fait état d’un renseignement anonyme impliquant un certain "Castola" et d’autres personnes dans l’affaire, mais mentionne aussi une mise en examen dans un autre dossier du nationaliste Charles Pieri, intervenue en octobre 1998.
"Ce procès-verbal est donc un faux. Nous l’avons malheureusement découvert trop tard", a dit Me Eric Dupond-Moretti.
Manifestement embarrassé, Roger Marion a évoqué une "erreur matérielle, un problème de travail de bureau". Il a renvoyé la cour à son ex-adjoint dont la signature figure sur le PV, Philippe Frizon. Ce policier doit être entendu mardi.
Prié de dire qui avait fourni l’information, Roger Marion a affirmé qu’il s’agissait d’une "personnalité du monde agricole" dont il n’a pas donné l’identité.
"Ma déontologie de policier m’oblige à protéger mes sources et cette personne a été menacée", a-t-il expliqué.
L’ACCUSATION MISE EN DOUTE
Ce rebondissement met en difficulté l’accusation, d’autant que, fait inhabituel, le président de la cour Jean-Pierre Getti a mis en doute dans ses questions les éléments à charge.
Claude Erignac a été tué de trois balles dans la tête à Ajaccio, le 6 février 1998, alors qu’il se rendait au théâtre.
Le parquet général s’appuie sur des contacts téléphoniques entre les deux accusés d’une part, et de l’autre certains des cinq membres du commando de tueurs et de leur complice déjà condamnés en 2003 à des peines allant de quinze ans de réclusion à la perpétuité, notamment Alain Ferrandi.
"Certes, il y a des coups de téléphone, mais à partir de cela peut-on établir qu’il y a eu des discussions, l’élaboration d’un projet, une concertation ?", a demandé le président Getti.
Réponse de Roger Marion : "Pas du tout".
Le parquet se fonde également sur le compte rendu d’une filature policière durant laquelle Jean Castela et Vincent Andriuzzi ont été surpris le 19 août 1998 dans une réunion avec Alain Ferrandi.
Le parquet estime qu’ils ont préparé à cette occasion le dernier communiqué envoyé par les tueurs aux médias corses, le 21 septembre 1998, pour justifier l’assassinat du préfet.
"A-t-on établi qu’il existait un lien entre cette réunion et le communiqué ?", s’interroge le président.
Réponse du policier : "On peut le supposer...".
Me Eric Dupond-Moretti a ajouté à l’embarras en lisant à la barre le rapport de synthèse de décembre 1998 dans lequel Roger Marion met en cause catégoriquement un autre suspect, Mathieu Filidori, dans la rédaction des communiqués de revendication. Cet homme a été innocenté après des mois de prison.
"Mettez-y un peu du vôtre, M. Marion. Vous avez conduit cette enquête, vous n’êtes pas n’importe quel policier...", a lancé l’avocat à Roger Marion.
"J’assume tout ce que j’ai signé dans cette procédure", a répondu ce dernier. Le procès se poursuit lundi.