mardi 24 janvier 2006
les juges « antiterroristes » eux-mêmes n’y croient plus trop. L’affaire des maoïstes italiens que leur ont livrée les renseignements généraux en 2003 n’était peut-être qu’un tuyau percé. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a pourtant confirmé, la semaine dernière, l’ordonnance de rejet de la remise en liberté de Giuseppe Maj, ingénieur et éditeur, 66 ans, et de Giuseppe Czeppel, cartographe, 45 ans. Dirigeants du nouveau Parti communiste italien ((n)PCI), clandestins, porteurs de faux papiers, ils ont été mis en examen et écroués, en juin 2003, pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Remis en liberté six mois plus tard, puis écroués une seconde fois, en mai 2005, pour violation de leur contrôle judiciaire, ils totalisent quatorze mois de détention provisoire.
« Il n’y a rien ». « C’est la qualification d’association de malfaiteurs en vue de commettre des actes de terrorisme qui pose problème, s’indigne leur avocat, Me Henri de Beauregard. Il n’y a rien. Pas de projet. Pas d’armement, pas d’explosif. » Mais les faux papiers sont là. En 2003, les deux militants ont été suivis, photographiés par la police. Entrant dans certains lieux avec un mystérieux « sac ». L’un est vu, dans un café, remettant de l’argent à l’autre. Au matin de leur arrestation, les policiers saisissent des « maquettes de contrefaçon de documents administratifs italiens et belges », des cartes d’identité italiennes vierges, un « important outillage ». Des échantillons de papier, des flacons d’huile et de peinture, des pinces riveteuses et même des « timbres secs » de Naples et de Padoue. Mais devant le juge Thiel, Maj se déclare « étranger à toute activité terroriste ». En 1999, les membres du (n)PCI ont choisi la clandestinité pour échapper aux contrôles de l’Etat italien. Ils ont condamné la dérive « militariste » des nouvelles Brigades rouges, mais ils ont été visés par des commissions rogatoires italiennes après les attentats de 1999 et 2002 (1) avant d’être mis hors de cause.
En 2003, après six mois de préventive, les deux Italiens sont remis en liberté sous contrôle judiciaire. Maj est hébergé par le maire (PCF) de L’Ile-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), Michel Vaulgain. « Il se levait tôt, travaillait dur, mangeait des pommes et se couchait tard. Il était plongé dans ses bouquins. C’est un puits de science », affirme l’élu. « C’est un pur esprit, approuve son avocat. Il est fait pour écrire des livres sur le marxisme, pas pour la clandestinité. » Le 9 décembre 2004, le site du (n)PCI annonce que « les camarades Maj et Czeppel ont quitté leur lieu d’assignation à résidence qui leur était imposé depuis un an ». Ils sont repris six mois plus tard. Porteurs de fausses identités. « Je le vois mal pratiquer des formes d’action violentes, armées, ou d’illégalité sérieuse, qui puisse aller au-delà de l’utilisation de faux papiers », remarque l’ancien dirigeant d’Autonomie ouvrière, Oreste Scalzone, figure des réfugiés italiens à Paris. « A Milan, l’activité de Maj était une activité d’édition. Il avait un profil d’idéologue. » Pour Scalzone, Maj et son mouvement sont visés par « une contre-attaque préventive ». « Où sont les actions qu’on peut leur reprocher ? Et quel groupe légal d’extrême gauche peut prétendre qu’il n’a pas eu une section qui préparait des faux papiers ? »
Mandat d’arrêt. Mais le juge Thiel s’entête. En juillet, un jeune militant italien, Angelo D’Arcangeli, est arrêté et écroué. Soupçonné d’avoir relevé la boîte postale de la délégation du (n)PCI, il fait quatre mois de prison avant d’être remis en liberté. En octobre, un couple de militants espagnols, anciens sympathisants des Grapo (Groupe de résistance antifasciste du 1er octobre) est mis en examen. Manuela Ontanilla a loué l’appartement pour les deux Giuseppe. Son compagnon, Jose Antonio Ramon Teijelo, fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen diffusé par l’Espagne. Mercredi, la chambre de l’instruction a exigé un complément d’information pour examiner la demande espagnole.
(1) Les meurtres de Massimo D’Antona en 1999 et de Marco Biaggi en 2002.