ASKATASUNA
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Ils ont donné leur feu vert aux mandats d’arrêt européens émis contre
Ekain Rodriguez et Jon Garmendia "Txuria"
Le Tribunal de Pau, qui avait examiné la semaine dernière les mandats
d’arrêt européens émis par l’Espagne contre les prisonniers politiques
basques Ekain Rodriguez et Jon Garmendia "Txuria", a rendu sa décision
aujourd’hui. Ainsi, leur remise aux autorités espagnoles pourra avoir
lieu dans les jours qui viennent, car les juges français ont donné leur
feu vert aux deux demandes.
Askatasuna dénonce avec force cette décision, surtout parce que
l’arrestation et l’incarcération d’Ekain Rodriguez sont basées sur des
déclarations faites sous la torture. Dans un premier temps, le Tribunal
de Pau avait demandé un supplément d’information sur la torture aux
autorités espagnoles, mais bien qu’ils n’aient pas obtenu de réponses à
leurs questions, les juges français se sont rangés à ces demandes.
D’après ce que nous avons pu voir jusqu’à maintenant, la décision
d’aujourd’hui était déjà prévue. L’arrestation d’Ekain Rodriguez est
basée sur des déclarations faites sous la torture. Les plaintes pour
torture d’Oihane Bakedano et d’Haritz Lasa sont en cours d’instruction,
mais ils n’en ont même pas tenu compte, ils ont suivi la même ligne que
jusqu’à maintenant, en prenant des décisions judiciaires contre les
citoyens basques au mépris des lois internationales contre la torture.
Voici le témoignage d’Oihane Bakedano :
Oihane Bakedano Maidagan
Fiche technique
Âge : 26
Sexe : Féminin
Date de l’arrestation : 28-09-2002
Lieu de l’arrestation : Donostia
Type de garde à vue : Mise au secret
Corps de police : Guardia Civil
Durée : 5 jours
Tribunal : T.C.I. Nº 2
Situation après la garde à vue : Incarcérée
Plainte : Oui
Témoignage
J’ai été arrêtée par la Guardia Civil le 28 septembre à 16h30 dans le
quartier Egia. D’abord, l’un d’eux m’a attrapé le bras, et le temps que
je me rende compte, j’étais entourée de gardes civils. Ils m’ont jetée
par terre en me tenant les bras dans le dos. Au moment de l’arrestation
j’ai été blessée aux bras et au dos.
Ils m’ont mise dans une voiture, où l’un d’eux me tenait la tête
baissée pendant que les autres me donnaient des coups dans le dos et
dans le ventre. À partir de là, les insultes et les menaces ont été
permanentes. Après avoir roulé un court moment (quelques minutes) ils
se sont arrêtés, et ils m’ont sortie de la voiture, m’ont jetée au sol
et m’y ont laissée quelques minutes. Je ne me rappelle pas si c’est à
Egia ou dans un autre endroit qu’ils m’ont mis les menottes. Je suis
arrivée à Intxaurrondo avec les yeux bandés et menottée dans le dos. Au
moment et à l’endroit de l’arrestation, il y avait une partie de
football, mais ils me disaient que personne n’avait vu, que personne ne
savait que j’avais été arrêtée.
Quand je suis arrivée à la caserne d’Intxaurrondo, je crois que nous
avons monté deux étages par les escaliers. Ils m’ont mise dans un
bureau, la table et les meubles étaient ordinaires, métalliques et de
couleur claire, beige ou quelque chose comme ça. Il y avait aussi des
chaises en plastique ou en cuir noir. Dans ce bureau, j’étais entourée
de 5 ou 6 hommes qui n’arrêtaient jamais de crier, de m’insulter et de
me menacer. Ils me frappaient sur la tête, au visage et au ventre. Les
coups sur la tête avec la main ouverte et avec le poing aussi, au
visage avec la main ouverte et au ventre quelques coups avec la main
ouverte. Dans cette pièce, ils m’ont mis un pistolet dans la bouche en
me menaçant de me tuer, car personne ne savait que j’avais été arrêtée
(d’après ce qu’ils disaient). Alors que j’étais à genoux, ils me
mettaient la tête dans un seau de plastique noir (REMPLI D’EAU). L’un
d’eux me maintenait la tête dans l’eau pour m’empêcher de respirer, et
quand je me sentais sur le point de m’asphyxier, ils me sortaient la
tête du seau pour la remettre à nouveau. Ensuite, ils m’ont enlevé les
menottes et m’ont ordonné de me déshabiller. Je ne me suis pas
déshabillée, alors ils l’ont fait eux-mêmes. Ils m’ont enlevé tous mes
vêtements sauf ma culotte (ils m’avaient déjà enlevé les boucles
d’oreille, les bagues et la montre avant d’arriver à Intxaurrondo), ils
me menaçaient de me violer, tout en continuant à me toucher et à me
frapper. Ils me tiraient les poils du pubis, ils m’ont donné des coups
sur le pubis, avec la main ouverte je crois, et ils me pinçaient les
seins.
Dans cette pièce ils ne m’ont pas posé de questions, ils m’ont demandé
mon nom deux ou trois fois mais je n’ai pas répondu. Je ne sais pas
combien de temps j’y suis restée, ils m’ont emmenée dans une autre
pièce. J’ai passé plus de temps dans cette seconde pièce, elle était
grande, il m’a semblé qu’il y avait un grand bureau sur la droite en
entrant et des fenêtres aux murs.
Quand ils m’ont emmenée dans cette deuxième pièce je n’avais plus les
yeux bandés, mais je ne me rappelle pas quand et où ils m’avaient
retiré le masque. Dans cette pièce, les coups, les menaces et les
insultes ont continué, ils ont continué aussi à me mettre la tête dans
l’eau, dans un seau noir plus grand et, à deux je pense, ils me
rentraient la moitié du corps dans le seau. Les premières fois, après
m’avoir mise dans l’eau, ils me laissaient par terre avant de m’y
replonger, ensuite ils me laissaient juste respirer une fois avant de
recommencer. Je ne sais pas combien de fois ils ont fait ça, ensuite
ils m’ont laissée par terre trempée, je tremblais, et ils ont continué
les cris et les coups. La plupart des coups étaient sur la tête, très
peu sur le corps. Ils me tiraient par les cheveux quand j’étais par
terre pour me faire relever. Quand je suis au sol, ils me couvrent avec
des journaux.
Quand ils me relevaient en me tirant par les cheveux, ils continuaient
de crier et de me menacer, enfin, ça c’était tout le temps. Dans cette
pièce, ils me donnaient des gifles et des coups de poing, je crois
qu’ils me frappaient aussi avec un journal, presque toujours sur la
tête mais aussi sur le pubis. Ils me font asseoir sur une chaise et une
fois assise, ils me mettent un sac en plastique sur la tête. Ils
serrent, et je ne peux plus respirer. Je ne sais pas combien de fois
ils l’ont fait, par moments ils me mettent aussi un casque de moto sur
la tête et ils frappent sur le casque, dans ces moments je vois des
étoiles. Quand ils me mettaient le sac sur la tête, ils me bouchaient
aussi le nez avec la main, ils serraient très fort le sac et je ne
pouvais pas mordre. À un moment ils me mettent le sac, je m’évanouis,
cet évanouissement est agréable, le seul moment agréable de ces
jours-là. Ils me disaient qu’ils allaient me mettre les électrodes, ils
m’ont mis quelques câbles dans les mains, mais ce ne sont que des
menaces, ils me disent aussi qu’ils vont me jeter par la fenêtre parce
que personne ne sait que j’ai été arrêtée (d’après ce qu’ils disent) et
que même si je meurs ils s’en fichent. En ce qui concerne les tortures,
voilà ce qu’ils m’ont fait à Intxaurrondo.
De "bons policiers" apparaissent aussi, d’abord deux femmes avec un
discours féministe et tout, entre-temps un "méchant" entre dans la
pièce et me donne un coup, mais le "bon policier" l’arrête. À un autre
moment, le "bon policier" est un homme, et "il essaie de me protéger"
des coups des "méchants" mais "ils ne le laissent pas faire" !
L’interrogatoire qu’ils me font dans cet endroit se limite aussi à me
demander mon nom. Je ne sais pas s’ils le savaient depuis le début ou
s’ils l’ont appris ensuite, mais quand le deuxième "bon policer" arrive
ils m’appellent par mon nom. Pourtant, ils continuent à me le demander,
ils veulent que je le dise moi-même, et c’est soi-disant pour ça qu’ils
me frappent. Presque tout le temps que j’ai passé à Intxaurrondo
j’avais les yeux fermés, d’abord ils me les ferment eux-mêmes où
m’ordonnent de le faire, ensuite, à partir du moment où ils m’emmènent
dans la grande pièce, parce que je préfère le faire, car ils
m’ordonnent de les ouvrir. Ils m’ouvrent les yeux de force et se
rendent compte à ce moment-là que j’ai des lentilles, et comme je ne
les enlève pas ils le font eux-mêmes.
Je dois dire que je parle de la caserne d’Intxaurrondo parce que c’est
ce qu’ils m’ont dit, moi je ne connais que le lieu de l’arrestation,
ensuite je ne sais plus ni où je suis ni quelle heure il est. Quand ils
me disent que je suis à Intxaurrondo, ils le font pour me faire peur,
ils me disent que je vais finir comme Lasa et Zabala...
Ils me mettent un pantalon de survêtement, une veste polaire et des
chaussures, ils disent qu’on va à la montagne et qu’ils vont me tuer,
qu’ils vont faire comme avec Basajaun, que finalement je ne suis même
pas arrêtée, que personne ne sait où je suis... C’est comme ça que
commence le voyage vers Madrid. Je suis menottée dans le dos et ils me
mettent dans un fourgon où ils m’attachent les jambes avec un ruban de
plastique, et me détachent plus tard pendant le voyage.
Dans le fourgon ils sont quatre, deux devant et un de chaque côté de
moi à l’arrière. Ils me donnent sans arrêt des gifles sur les oreilles
avec la main ouverte et des coups de poing sur la tête, ils me
demandent mon nom sans arrêt, ils me disent qu’on va à la montagne et
que là-bas ils vont me tuer. Quand la nuit tombe ils recommencent avec
le sac, ils m’enlèvent les menottes et ils me disent d’applaudir quand
je veux parler. Quand j’ai le sac sur la tête, le copilote me ferme le
nez et la bouche, et me donne de temps en temps des coups sur la tête.
Je ne peux plus supporter ce sac, et j’applaudis pour dire mon nom. À
partir de là, l’interrogatoire commence, ils me mettent le sac sans
arrêt, et ceux qui sont à côté de moi me serrent le ventre pendant que
j’ai le sac sur la tête.
En arrivant à Madrid, je décide de me taire et de fermer les yeux à
nouveau. Ils disent que le médecin doit m’examiner, mais comme je ne
parle pas et que je n’ouvre même pas les yeux, ils m’emmènent à
l’hôpital. À ce moment-là le voyage est tranquille, à l’hôpital ils me
font des radios de tout le corps (moi en silence et les yeux fermés),
je leur montre avec les mains où j’ai mal : à la tête et au ventre. Ils
me font aussi des radios de la tête, et au ventre une échographie. Ils
ne me soignent pas les blessures de l’arrestation, ils me font une
prise de sang, et le traitement a été normal, certain plus désagréables
que d’autres mais bon. Les gardes civils sont restés avec moi tout le
temps, de temps en temps ils bougent le lit et me disent quelque chose
pour que je ne m’endorme pas. Ils décident que je vais bien, et nous
retournons à la caserne.
Au commissariat l’interrogatoire continue, là, avant de me mettre le
sac ils me mettent le "caneloni" : ils me déshabillent et m’enveloppent
des épaules aux genoux dans une espèce de matelas de caoutchouc, en
fermant avec du scotch. Mes bras sont coincés le long de mon corps, je
ne peux pas bouger. À ce moment, si je veux parler, je dois bouger les
pieds. Quand je suis dans le "caneloni", ils m’assoient sur une chaise
et me mettent le sac. La posture est très dure à tenir, et je ne peux
plus tenir ma tête droite, ils me la tirent de force vers l’arrière
quand j’ai le sac, quand ils me l’enlèvent j’essaie de ramener la tête
vers l’avant mais ils m’en empêchent, ils jouent avec ma tête comme
avec un ballon. En conséquence, j’ai eu de très fortes douleurs au cou
et au dos pendant ces jours-là, et par la suite aussi. D’autre part, le
"caneloni" provoque autre chose, la sueur, j’ai très chaud, et quand
ils m’enlèvent le matelas je suis entièrement trempée de sueur. C’est
ce qu’ils m’ont fait le plus. Dans une autre séance ils m’ont fait
aussi le "sandwich", mais seulement une ou deux fois : ils m’allongent
sur un petit matelas, ils en mettent un autre par-dessus et les gardes
civils s’allongent sur moi, pendant ce temps ils me mettent le sac sur
la tête et me donnent des coups, sur la tête aussi.
Pendant le "caneloni" et le sac, ils me menacent de me violer : ils me
déshabillent et l’un d’eux me serre dans ses bras, en me touchant les
seins, les fesses et le sexe, il me demande si je veux faire l’amour
avec lui, que je vais devoir lui sucer le pénis, il pousse des
gémissements... Dans ces moments-là la pièce se vide, d’habitude ils sont
5 ou 6 mais là il n’en reste qu’un ou deux. À d’autres moments, ils me
mettent sur l’anus quelque chose qu’ils appellent de la vaseline, ils
m’allongent sur le ventre et ils me frottent avec quelque chose qui
ressemble à un pénis en me menaçant de me le mettre dans le cul.
Pendant ces séances il y a plus de gens dans la pièce, mais je suis sur
le ventre et ils ne me laissent pas les regarder. Par moments ils
touchent aussi mes blessures.
Voilà les différentes formes de torture qu’ils ont utilisées avec moi,
toutes se répétant à chaque fois plus ou moins, les cris, les menaces
(sœur, parents, compagnon...), insultes, et autres du même type. Ils me
disaient que mon père ou ma mère étaient morts, qu’ils avaient tué une
autre personne arrêtée, ils faisaient beaucoup de bruit avec une sorte
de mégaphone et me le mettaient à côté de l’oreille. Ils m’ont aussi
menacée d’utiliser les électrodes.
Je ne peux pas dire combien de fois ils m’ont fait chaque chose ni
quels jours, seulement que ce qu’ils m’ont fait le plus était le
caneloni. Je ne sais pas combien de temps durait chaque séance, je ne
sais pas combien de temps ils me laissaient dans la cellule. Je crois
qu’à partir du mercredi après-midi il n’y a plus eu de séance, ils
m’ont donné mes vêtements et le jeudi ils m’ont emmenée à l’Audience
Nationale.
Dans la cellule il y avait un lit (de 90 cm je crois), la pièce
faisait plus ou moins 3 mètres sur 1,5. Les séances de torture avaient
lieu dans une autre pièce, pour chaque genre de séance une pièce, les
sols de ces pièces étaient différents, ce n’était pas du carrelage, ils
étaient couverts de lino noir.
J’ai fait deux déclarations au commissariat, contre ma volonté, sous
la menace. Chaque déposition a été préparée avec un garde civil,
quelles questions ils allaient me poser, ce que je devais répondre, ce
que je ne devais pas dire... Que si je faisais "mal" la déposition, ils
me redescendraient aussitôt et que je savais ce qu’ils allaient me
faire.
J’ai vu le médecin légiste trois ou quatre fois, je lui ai dit ce
qu’ils me faisaient, et je lui ai demandé de contrôler ma tension et ma
respiration. La première fois je n’ai pas osé, je me méfiais car je ne
savais pas si c’était un vrai médecin ou un garde civil. Je lui ai
demandé aussi de regarder ma tête, mon cou et les blessures de
l’arrestation, il les a examinées et il a noté quelque chose. Dans
cette pièce, j’ai bu de l’eau au robinet, en haut je n’ai rien mangé et
je n’ai pas bu d’eau non plus bien qu’ils m’aient donné une bouteille.
Le médecin me disait quel jour on était, je ne sais pas s’il disait la
vérité ou s’il mentait.
Euskal Herria, le 10 janvier 2006