Tout d’abord, bienvenue à tous !
Ce n’est pas la première fois que nous remplissons les rues de Bilbo pour les prisonniers. À la place des allées et venues quotidiennes des voitures, vous avez rempli ces rues de vie. Et ce n’est pas rien : à la place du vacarme de la circulation, on peut entendre maintenant des milliers de battements de cœur : bravo ! En partant pour la visite, au moment de prendre la voiture le vendredi soir pour partir vers le nord ou vers le sud, nous penserons peut-être à la façon de transmettre aux prisonniers la force d’aujourd’hui : comment raconter ce que ça a été ? Comment expliquer la flamme qu’il y a ici ? Nous ferons cent kilomètres, nous en ferons deux cents, cinq cents ou mille kilomètres, mais quand nous arriverons à la prison, le feu qui a été allumé ici sera toujours aussi vif, fort et généreux.
Mais le but du grand rassemblement d’aujourd’hui, le but principal, n’est pas d’envoyer de la chaleur aux prisonniers. Nous avons organisé cette marche pour faire une demande, une demande précise : le respect des droits des prisonniers. C’est regrettable de devoir le dire, c’est douloureux, mais il faut le faire : les droits des prisonniers, en ce moment même, sont piétinés. En ce moment même, si un prisonnier a mal aux dents, ou s’il a mal à la tête, si un prisonnier est malade, ou s’il a besoin d’aide d’une façon ou d’une autre, la prison la lui refusera. Le prisonnier demandera l’aide à laquelle il a droit, parce que son état de santé l’exige, et parce que c’est son droit. Les autorités de la prison, pour leur part, utilisant l’impunité à laquelle elles sont habituées, feront ce qu’elles veulent. Si cela leur convient, elles l’emmèneront à l’infirmerie. Si ça ne leur convient pas, elles le laisseront souffrir là comme un chien. Ça, c’est ce qui est en train de se passer maintenant, à cette seconde même.
L’Administration Pénitentiaire a l’obligation de garantir une assistance sanitaire digne à toutes les personnes incarcérées. Aujourd’hui nous pouvons dire que, loin de là, l’assistance sanitaire est un instrument de chantage contre toutes les personnes incarcérées. Et quand il s’agit des prisonniers politiques basques, elle est utilisée comme arme de guerre de soumission politique et d’assimilation idéologique.
Aujourd’hui, un chien, n’importe quel chien qui vagabonde sur les trottoirs, a la même assistance médicale qu’un prisonnier. Il n’a pas, logiquement, les mêmes droits. Le prisonnier a les droits qui lui reviennent en tant que personne, mais la prison, comme elle l’a toujours fait, sabote et escamote systématiquement ces droits. Et ils veulent nous faire croire qu’ils les éloignent pour les protéger, qu’ils les isolent pour les séparer du mal. Non, Messieurs Dames, non, ils les éloignent pour qu’ils souffrent seuls, pour qu’ils lâchent, pour qu’ils se brisent. Ils utilisent, et il faut le dire très clairement, la souffrance des prisonniers pour mener leur jeu politique, pour avoir, finalement, un autre as dans la manche.
Et puisque nous parlons des prisonniers, il y en a que nous ne devons pas oublier : les familles. Quelqu’un doute-t-il du fait que les familles aussi sont prisonnières ? Oui ? Eh bien, demandez à Madame Mercedes Gallizo, demandez-lui ce qu’elle pense des familles. Il y a peu de temps, elle a déclaré que les prisonniers ne seraient pas rapprochés. Et nous savons bien pourquoi elle a dit cela : la dispersion est une façon de faire entrer les familles dans le tourbillon de la prison, dans la roue de la prison. Pour les éloigner de leur travail, de leur entourage, pour aggraver leurs problèmes financiers. Mais si les familles sont prisonnières aussi, qu’elles soient mises en prison, mais qu’elles soient jugées également, parce que, pour autant que nous le sachions, il n’y a jamais eu à ce jour ce genre de procès. Aucun tribunal n’a jamais condamné les proches à passer leur vie sur les routes. Alors, pourquoi cette punition ?
Donnez-moi un droit, un seul droit dont le prisonnier puisse disposer librement. Dites-moi dans quel Code, dans quelle Charte, on condamne le prisonnier à vivre comme un animal, dans quel livre on condamne les familles à risquer leur vie sur les routes en parcourant mille, deux mille, trois mille kilomètres, juste parce qu’ils le veulent, juste parce que les règles, ici, ne sont pas respectées. Montrez-les moi, et dites-moi que je me trompe. Parce que je ne me trompe pas, et aucune des personnes présentes ici ne se trompe. Personne n’a rien inventé.
D’autre part, aujourd’hui, nous voudrions également demander ceci : un autre interlocuteur dans le débat qui a lieu dans notre pays. Notre peuple, traditionnellement, a toujours su se réunir autour d’une table. Nous nous sommes souvent réunis pour les célébrations, et nous nous sommes aussi souvent réunis pour des motifs douloureux. Nous avons construit un pays comme ça, mais nous n’avons pas encore fini notre travail. Nous nous trouvons à une croisée des chemins, sans pouvoir décider comment construire notre maison. Et dans cette situation, les prisonniers sont maintenus au loin, sans droits, hors du jeu.
Et nous en sommes là, assistant à la façon dont ils jouent la partie avec des cartes truquées, à la fois juge et partie, comme si tous les autres n’avaient aucun droit. Comme si l’autre n’existait pas. On parle ici de processus politique, on parle de paix, mais les familles continuent de se réveiller en face des prisons, dormant sur les bas-côtés de la route ou cherchant des hôtels lointains dans des cités perdues. Et de cette façon, on ne peut rien commencer. Respectons les règles du jeu, mais respectons les toutes, pas seulement celles de l’une des parties.
Ne pas reconnaître cela, faire ceux qui n’entendent pas, ce n’est pas du courage politique, c’est de l’obstination, de l’aveuglement : l’aveuglement de la vanité.
Étant un petit pays, nous avons eu de grands problèmes au fil des années, nous avons eu de grands ennemis, et nous en avons toujours. Étant un petit pays, cependant, nous avons aussi de grands défis, et voici l’un des plus grands : trouver une solution à la situation des prisonniers, et lutter de toutes nos forces pour cette solution. Ils doivent les amener dans ce débat, nous devons les amener dans ce débat, du moins si nous voulons en finir avec ce conflit.
Nous avons dit que ce n’étaient pas la première fois que ces rues se rejoignaient en un cri. Durant toutes ces années, les prisonniers nous ont amenés, si je peux me permettre un paradoxe, à de très nombreuses occasions à réclamer leurs droits. Celle d’aujourd’hui est une manifestation qui a vocation à être la dernière, la dernière de toutes. Nous laisserons les voitures circuler à leur guise, sans aucune raison d’interrompre leur passage, du moins pour les demandes qui nous concernent.
Mais pour qu’elle soit la dernière, nous devons nous mettre au travail. Ils ne nous feront pas de cadeaux, ils ne lâcheront rien si nous n’insistons pas sans relâche : parce qu’ils en ont le droit, parce qu’ils doivent en avoir le droit.
Nous sommes à une croisée des chemins, dans la nécessité de changer de direction, de laisser la route chaotique suivie jusqu’à maintenant pour prendre, une fois pour toutes, la voie la plus sereine. Nous devons les convaincre : ils ne veulent pas entendre, nous devrons parler plus fort, ils ne veulent pas nous voir, c’est le peuple entier qui devra se mettre devant leurs yeux.
La politique menée aujourd’hui dans les prisons durcit et amplifie le conflit. Pourtant, la garantie de tous les droits qui reviennent aux prisonniers politiques basques alimente la Résolution Politique et Démocratie du Conflit. Par conséquent, pour cela aussi il est temps de prendre des engagements. L’acte d’aujourd’hui est très beau, mais malheureusement, il ne suffira pas.
Nous voulons aussi donner un autre rendez-vous à tous les citoyens basques : celui qui se tient chaque dernier vendredi du mois sur les places d’Euskal Herria, et nous les appelons à y répéter la clameur d’aujourd’hui. Aux côtés de l’association Etxerat, jusqu’à ce que tous les prisonniers soient ramenés en Euskal Herria et que tous leurs droits soient respectés ! Ce ne sont que trente minutes par mois, mais si nous tous qui sommes présents ici le faisons chaque mois, nous prendrons le chemin de la résolution d’un grave problème, sans le moindre doute.
Il nous faudra de l’humilité, de la patience, de la force, de la souplesse, et surtout, de l’imagination, mais nous y arriverons : les Prisonniers Basques au Pays Basque !
"Ibaeta Bilgunea"