Marie-France Calle (Le Figaro)
[09 janvier 2006]
Le cessez le feu entre les Tigres de Libération de l’Eelam Tamoul (LTTE) et le gouvernement de Colombo est à bout de souffle. Plus proche de la guerre que de la paix, le Sri Lanka pourrait voir son destin basculer dans les semaines qui viennent. Si les deux parties ne retournent pas au plus tôt à la table des négociations, l’île risque fort de retomber dans la guerre civile. Même les médiateurs internationaux sont pessimistes : la trêve en vigueur depuis le 23 février 2002, la plus longue dans ce conflit ethnique trentenaire, minorité tamoule contre majorité cinghalaise, menace de rompre à tout moment sous les coups de boutoir des Tigres.
Samedi, la violence déclenchée début décembre contre l’armée par le LTTE a monté d’un cran. Un bateau de pêche bourré d’explosifs a été lancé contre un patrouilleur de la marine sri lankaise, au large de Trincomalee, sur la côte nord-est du pays. Sur les quinze marins qui se trouvaient à bord du navire, treize ont été tués.
Chasse gardée des Tigres, le nord-est de l’île, peuplé majoritairement de Tamouls comme le nord, leur est cependant disputé. Non seulement par les autorités de Colombo, mais aussi par le « colonel Karuna », un ancien cadre du LTTE entré en dissidence en 2004. Les apparatchiks du mouvement séparatiste affirment que Karuna est un poisson pilote de Colombo. Si le gouvernement sri lankais nie toute implication dans cette guerre intestine entre Tamouls, les services de renseignements indiens accréditent volontiers cette hypothèse.
La nouvelle attaque, pas plus que les précédentes, n’a été revendiquée par le LTTE. Mais elle porte la signature des Tigres. Aux commandes du bateau, qui s’était mêlé aux autres embarcations de pêcheurs, se trouvait une femme, a indiqué la marine sri lankaise. Non seulement le LTTE a inventé les attentats suicides, mais il en a fait une spécialité féminine. Bref, pour le gouvernement de Colombo, cela ne fait aucun doute, ce dernier incident est l’oeuvre des « Black Sea Tigers », l’unité d’élite de la marine du LTTE.
C’est la première fois depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu qu’un navire de la marine sri lankaise est coulé. L’escalade fait suite à une kyrielle d’attentats ayant coûté la vie à une soixantaine de soldats sri lankais depuis début décembre.
Face à la montée de la violence, Mahinda Rajapakse, le nouveau président sorti des urnes le 17 novembre, a jusqu’à présent fait preuve de retenue. Présenté comme un « président de guerre » par le LTTE, ce nationaliste de gauche engrange du coup le satisfecit d’une communauté internationale de plus en plus inquiète. A contrario, on ne sait pas pourquoi les Tigres, qui recherchent, plus que tout, la reconnaissance internationale, ont choisi l’offensive. Même le médiateur norvégien, soupçonné par Rajapakse de partialité en faveur du LTTE, avoue que les Tigres mettent en danger le processus de paix péniblement construit par Oslo.
Certains estiment que les Tigres jouent leur va-tout, espérant obtenir davantage qu’une vague autonomie pour les régions où ils exercent déjà leur influence, le nord et le nord-est du pays. D’autres jugent que le « facteur Karuna » est vital pour le LTTE. Les attaques répétées des Tigres ne viseraient qu’à négocier l’abandon du soutien de Colombo au dissident, qui les affaiblit plus sérieusement qu’il n’y paraît, juge ainsi un ancien officier des renseignements indiens.