Jean-François Lefort, plus connu sous le nom de Lof, vient de rentrer
au Pays Basque après un an de prison provisoire. Fatigué des suites
d’une grève de la faim de plus de vingt jours, le porte-parole
d’Askatasuna veut se reposer avant de retrouver ses responsabilités au
sein de l’association pour la défense des droits des prisonniers
politiques basques à un moment où le Pays Basque semble vivre un
contexte d’opportunités pour régler de façon définitive son conflit.
Dans ce sens, Jean-François Lefort appelle toutes les organisations du
Pays Basque nord à ne pas tourner le dos et à contribuer à trouver une
issue démocratique.
Comment avez-vous ressenti votre arrestation et ultérieurement votre
mise en examen ?
Comme je l’avais dit à la gare, le soir de mon retour au Pays Basque,
j’ai été aussi surpris de mon arrestation que de ma mise en liberté. Le
7 décembre ils sont venus chez moi à 6h du matin, la Police Judiciaire
de Bayonne, la DNAT de Paris et la Brigade financière. Ils m’ont
présenté deux commissions rogatoires, l’une délivrée par les juges
Levert et Houyvet sur des liens présumés avec l’organisationETA, et
l’autre émise par les autorités espagnoles concernant les activités
d’Askatasuna.J’étais très surpris de l’ampleur de l’opération, mais je
ne sais pas quelle était la raison de ce déploiement de moyens.
Lorsque, au bout des 72 heures de garde à vue, mon avocate m’a demandé
ce qu’il se passait, je n’ai pu rien lui dire, sauf qu’il y avait deux
commissions rogatoires dont j’ignorais le contenu. Mais vu l’ampleur de
l’opération j’ai vite pensé qu’il s’agissait d’un coup monté contre le
mouvement de solidarité avec les prisonniers, ce qui a été confirmé une
fois que le contenu des dossiers a été connu.
C’est-à-dire ?
Comme je dis, lors de mon arrestation j’ai été choqué par l’ampleur de
l’opération. La police a volé, je ne dis pas saisi mais volé, une
grande partie de nos archives, des comptes rendus des assemblées
générales de la Coordination de soutien depuis 1997, tous les débats
internes d’Askatasuna, des communiqués de presse, des dossiers pour les
médias, des agendas... Je me suis dit qu’on était face à une opération
à caractère politique contre Askatasuna et le mouvement de soutien aux
prisonniers politiques basques. Lorsque j’ai vu les faits que l’on me
reprochait, cette impressionm’a été confirmée : on m’accuse d’avoir
aidé à trouver un hébergement à des membres de ETA. Pour étayer cette
version on me dit que deux responsables de ETA, dont Mikel Albisu, dit
Antza que la police signale comme étant le numéro un de l’appareil
politique seraient venus passés deux jours au festival d’Arrossa, et
qu’en discutant autour d’une bière ils m’auraient demandé si je pouvais
leur trouver un appartement, et c’est alors que je leur aurais présenté
une personne qui à son tour leur aurait trouvé cet appartement... C’est
à ce moment-là que je comprends qu’en effet tout est un montage
politique contre le mouvement de soutien et de défense des droits des
prisonniers politiques.
Mais pourquoi un Etat comme la France s’attaquerait à Askatasuna ?
Pourquoi cette association aurait-elle une telle importance pour un
Etat ?
Parce que cela fait des décennies que le soutien aux prisonniers
politiques existe en Pays Basque, non seulement pour organiser la
solidarité envers le collectif mais aussi pour dénoncer les atteintes
aux droits dont les prisonniers et le Pays Basque dans son ensemble
sont victimes. Le fait de constater publiquement ces atteintes aux
droits gêne sans aucun doute les états français et espagnol. Il faut
rappeller que ces 4 dernières années, Askatasuna a été interdite en
Espagne, que la France a arrêté et extradé son porte-parole Juan Mari
Olano... Et mon arrestation, que j’ai vécue avec impuissance, rentre
dans cette dynamique de répression. Tout cela n’est pas gratuit. Sans
doute, le travail du mouvement pro-amnistie gêne les Etats, parce que
ce travail montre qu’il y a bien un conflit d’ordre politique dont
Paris et Madrid refusent l’existence. Or, toute cette dynamique de
répression visant à nier l’existence d’un conflit politique met
paradoxalement en évidence le contraire.
Vous avez parlé d’impuissance...
En effet, parce que je savais que j’irais en prison pour rien, qu’il y
avait une volonté politique d’empêcher le travail d’Askatasuna et que
je n’y pourrais rien. Mais je crois aussi que cette opération relève
d’un sentiment d’impuissance du côté des Etats qui ne savent plus
comment freiner le mouvement de solidarité basque. Ils ont renforcé la
dispersion, l’éloignement et les conditions de détention des
prisonniers politiques basques et malgré cela le soutien s’est
maintenu. Solidarité n’est pas un vain mot en Pays Basque. Paris et
Madrid se sont attaqués alors à l’organisation qui dénonce toutes ces
violations. L’illégalisation d’Askatasuna est une conséquence de ce
sentiment d’impuissance.
En vous écoutant on dirait que les Etats français et espagnol
seraient même capables d’interdire la Cour européenne des Droits de
l’Homme s’ils le pouvaientŠ
Je n’ai aucun doute qu’ils le feraient... Malheureusement ils ne
seraient peut-être pas les seuls à le faire. Le délire sécuritaire
s’est étendu partout en Europe, ce qui mène à une réduction des droits
politiques, syndicaux et d’association, et le Pays Basque est un
véritable laboratoire des mesures répressives.
Dans quel sens ?
À un niveau européen, avec la mise en place, par exemple, des nouvelles
mesures juridico-policières, telles que le mandat d’arrêt européen, qui
a été conçu pour les Basques. Concernant l’Etat français, aujourd’hui
une nouvelle loi antiterroriste va être mise en place sous le couvert
d’une menace islamiste. Or, la grande majorité des personnes à qui va
être appliquée cette loi antiterroriste ne seront pas des islamistes
mais des Basques. Aujourd’hui le collectif de prisonniers politiques le
plus nombreux est celui des Basques. Quand on entend ces discours
sécuritaires sur la dite menace islamiste, le moins que l’on puisse
dire c’est qu’il s’agit d’un faux discours dans le sens où les mesures
antiterroristes sont prises plutôt pour faire face à la volonté
d’émancipation de la résistance basque. Ce qui montre que l’Etat
français est un acteur politique complètement impliqué dans le conflit
basque dont Paris nie l’existence.
Il est évident que l’Etat français n’est pas confronté au même
conflit que l’Etat espagnol...
Il faut distinguer le conflit politique de ses expressions. La lutte
armée et la répression, qui est en soi une négation, sont des
expressions de ce conflit. La lutte armée d’Iparretarrak n’existe plus,
en effet, mais la répression est toujours présente en Pays Basque nord,
tout comme le conflit politique qui n’a jamais été résolu. Quand les
parents de Seaska se font matraquer par la police ; quand l’Etat se
refuse de donner un statut officiel à la langue basque ; quand Paris nie
un outil tel que la chambre d’agriculture ; quand on s’oppose à la
création d’une institution basque majoritairement soutenue par les élus
et la populationŠ Quand tout cela se passe c’est parce qu’il y a un
conflit politique, une négation de l’existence d’un peuple, d’une
identité, d’une culture. La France ne peut pas continuer à nier ce qui
est désormais une évidence. L’intérêt du Pays Basque mais aussi de
l’Etat français est de régler de façon démocratique ce conflit. On ne
peut pas imaginer que quelqu’un à l’origine d’un conflit ne participe
pas à sa résolution. La France doit réfléchir sur le type de relation
qu’elle veut développer avec le Pays Basque. Si Paris ne le fait pas et
continue à nier l’existence du Peuple Basque on verra bien comment les
prochaines générations vont réagir...
Il semblerait que du côté du Pays Basque sud un processus de
résolution du conflit prend corps...
Non seulement du côté du Pays Basque sud, mais d’Euskal Herri dans son
ensemble. L’engagement des organisations du Labourd, de la
Basse-Navarre et de la Soule dans les débats du Forum national de débat
Eztabaidagune est quelque chose de très positif. Un accord démocratique
de base a été souscrit par une cinquantaine d’organisations de
l’ensemble du Pays Basque. Reste que d’autres organisations, dont la
plupart des partis politiques français, ne sont toujours pas engagées
dans une solution démocratique du conflit basque. Et c’est regrettable,
parce qu’un accord seulement sur la partie de l’Etat espagnol ne
résoudrait pas la question.
Pour quelle raison ?
Parce que la base du conflit réside sur le droit de décision et sur le
concept de territorialité, c’est-à-dire la reconnaissance d’un peuple
basque. Ce n’est que sur ce schéma de droit d’autodétermination sur un
territoire défini, l’ensemble du Pays Basque, qu’une solution pourra
être trouvée. Comment faut-il arriver à ce "grand soir", quels doivent
être les rythmesŠ c’est de cela qu’il faut discuter. En sachant que le
dernier mot c’est la population qui l’aura. Dans ce sens, ni l’UMP, ni
l’UDF, ni le PSF, ni le PCF ne peuvent tourner le dos au débat.Ils ne
peuvent pas se cacher derrière un bouclier de neutralité, parce que la
neutralité dans les organisations politiques n’existe pas. Tous les
partis ont leur point de vue particulier sur la réalité. On ne peut pas
cacher ça. Le fait de tourner le dos au débat n’est donc pas neutre :
c’est un choix politique.
Pour vous la participation de tous les partis au processus est donc
souhaitable...
Souhaitable et nécessaire pour arriver à un accord acceptable par tous.
Il faudrait intégrer tout le monde dans un processus de résolution du
conflit pour que celui-ci puisse être réellement démocratique.
Vous avez passé un an en prison. Quelle est l’impression que le
collectif des prisonniers a sur la mise en place d’un éventuel
processus de paix ?
L’impression est nettement positive. Comme l’ensemble de la gauche
abertzale, le Collectif des prisonniers politiques basques est très
engagé dans la voie d’un processus démocratique. Dans ce sens,
Askatasuna réclame des gouvernements français et espagnol qu’ils
rendent possible la participation aux débats des porte-parole du
Collectif. Tous les acteurs impliqués dans le conflit doivent prendre
part à sa résolution, autant les prisonniers, que les partis
politiques, que les syndicats, que les Etats... et à terme ce sera aux
citoyens de dire le dernier mot.
Et selon vous, quelle issue aura ce processus ?
J’espère que ce sera une issue démocratique. Nous travaillerons pour
que ce soit ainsi. La volonté de la gauche abertzale et de beaucoup
d’autres sensibilités va dans ce sens. J’estime qu’aujourd’hui il y a
une réelle volonté de pas mal d’acteurs d’avancer vers une issue
démocratique. On va y arriver.