ASRIN HUKUK BUROSU
BUREAU JURIDIQUE ASRIN
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7 Novembre 2002
A L’ATTENTION D’AMNESTY INTERNATIONAL
REQUERANT : Abdullah OCALAN, Prison de Imrali, Turquie
OBJET : Conditions de vie de Abdullah OCALAN détenu en isolation à la prison de Imrali depuis le 15 février 1999
PRECISIONS :
Depuis qu’Abdullah OCALAN a été amené en Turquie en violation du droit international le 15 février 1999, il est placé en isolation dans la prison d’Imrali située sur une île de la mer Marmara, où il est d’ailleurs le seul détenu.
La zone s’étendant jusqu’à 5 mile autour de l’île-prison d’Imrali a été décrétée zone militaire interdite. Le statut juridique de l’île d’Imrali et les pratiques qui y sont mises en œuvre dépendent du champ d’application de la « situation de crise », régime qui ne peut être décrété dans une région particulière qu’en cas de situation extraordinaire comme la guerre ou les calamités. Ainsi, l’île est dirigée par une unité appelée Centre de Direction de Crise. Dotée de compétences extraordinaires, cette unité de direction peut agir sans que ses pratiques et ses décisions soient soumises à un contrôle juridique. De ce fait, le statut juridique et le régime administratif de la prison d’Imrali prêtent à discussion.
M. Ocalan est détenu sur l’île d’Imrali pour des raisons de sécurité générale. L’île d’Imrali a été spécialement choisie par le gouvernement turc en raison de sa situation particulière qui permet d’isoler totalement du monde extérieur, de réduire les possibilités de visite des avocats et de la famille pour divers motifs contestables, et qui offre les conditions d’une surveillance continue avec tous les inconvénients que cela peut entraîner.
Même si la prison d’Imrali est considérée comme rattachée au ministère de la justice de la République Turque, toutes les entrées et sorties de l’île, même celles du personnel de la prison, sont soumises à un contrôle poussé des unités militaires en raison du statut de zone militaire interdite. Toutes les choses que nous envoyons par l’intermédiaire du parquet, en particulier les documentaires relatifs à la défense, sont soumis au contrôle et à l’approbation des militaires.
M. Ocalan n’a pour seul contact avec le monde extérieur qu’un entretien avec ses avocats limité à une heure, une fois par semaine (le mercredi) et un autre entretien avec les membres de sa famille (uniquement les parents au premier degré) pendant une heure, une fois par semaine (le mercredi).
La communication des parents et des avocats avec l’île est assurée au moyen d’un bateau appelé Imrali-9, de caractère extrêmement rudimentaire, pouvant transporter en moyenne 10 personnes, y compris le personnel du bateau. Le transport vers l’île ayant une durée de deux heures et demi à trois heures et les plus ou moins mauvaises conditions climatiques rendent sa circulation extrêmement difficile et dangereuse. De temps en temps, on nous dit que le véhicule est en panne, dans ce cas, aucun autre véhicule n’est mis à disposition.
Seuls les avocats et les parents au premier degré (3 frères) de M. Ocalan peuvent directement obtenir des informations le concernant. Malgré les procès en cours devant la cour d’assises d’ankara, la Cour Européenne des Droits de l’Homme et la cour d’assises d’Athènes, on veut empêcher totalement les entretiens avec les avocats, dont la durée est déjà limité, en prenant pour motif les conditions climatiques défavorables. De plus, n’ayant pas la possibilité de nous entretenir avec lui sur les évolutions juridiques récentes le concernant et qui requièrent d’agir dans l’urgence, notre travail en tant que partie de la défense s’en trouve entravé. Par ailleurs, alors que la jurisprudence en Turquie reconnaît le droit de visite aux parents du deuxième et du troisième degré, M. OCALAN n’a le droit de voir que ses frères. Ses frères ne peuvent venir le visiter qu’une fois par mois en raison de leur âge, de leur état de santé ou de leur éloignement géographique (environ 1200 km). Ajouté à ces difficultés les problèmes posés par le transport jusqu’à l’île d’Imrali, M. Ocalan ne dispose que de possibilités d’entretien très limitées.
M. Ocalan ne peut accéder à la presse écrite que par l’intermédiaire de certains journaux (Hurriyet, Milliyet et Sabah) en nombre limité (8 à 10 par semaine) que nous lui apportons une fois par semaine. Il n’a le droit de garder que trois livres parmi ceux en nombre limité que nous pouvons lui faire parvenir. Il n’a le droit de sortir en plein air que 2 heures par jour ( 1 heure avant midi et 1 heure après midi.
De même que rien n’est fait pour permettre à M. Ocalan d’exercer des activités sociales et sportives, nous n’avons pu obtenir la mise à disposition d’une télévision malgré toute notre insistance. Il lui est seulement possible d’écouter une chaîne de radio qui est placée sous le contrôle officiel de l’Etat (TRT). Par ailleurs, parmi les milliers de lettres qui lui sont envoyées, seul un petit nombre lui parvient après être passé par un contrôle très strict.
Bien que le Comité pour la Prévention de la Torture du Conseil de l’Europe (CPT) ait recommandé que la cour de plein air soit plus ouverte après avoir constaté qu’elle avait une largeur de 4,5 m et une hauteur de 4 m. et qu’elle était couverte par des grillages aucune amélioration n’a été constatée. Quand on prend en compte le fait que ces pratiques durent depuis 3 ans et 8 mois, on constate combien elles présentent le risque d’effets négatifs sur la santé physique et mentale.
Dans les rapports de surveillance élaborés après deux visites dans l’île d’Imrali, le CPT a relevé les faits que nous avons précédemment mentionnés. La Turquie n’ayant pris aucune mesure pour appliquer ses recommandations, le CPT a décidé de publier ses rapports. Nous avons adressé plusieurs demandes au ministère de la justice turc, à la Direction Générale des Maisons d’Arrêt et des Peines ainsi qu’au parquet de Bursa afin que les conditions de vie de M. Ocalan soient améliorées et ramenées à un seuil plus humain et plus acceptable, en conformité avec les rapports du CPT. Nous n’avons reçu aucune réponse positive aux demandes écrites et orales que nous avons adressées aux autorités d’exécution et de jugement. Nous n’avons de même constaté aucune mesure d’amélioration pour rendre les conditions de détention de M. Ocalan conformes aux droits minimums universellement reconnus aux détenus et aux condamés.
Bien que la peine de mort ait été supprimée en Turquie depuis le 3 août 2002 dans le cadre des mesures prises pour répondre aux exigences de l’Union Européenne et alors que la commutation de la peine de mort applicable à M. Ocalan en une peine de prison à perpétuité aurait dû entraîner une amélioration des conditions de vie, les tentatives pour durcir ses conditions de détention ne sont pas acceptables juridiquement. En effet, l’isolation et les conditions de détention dans lesquelles se trouve M. Ocalan depuis bientôt 4 ans restent aménagées conformément au « système de la peine de mort ». Ces conditions sont encore appliquées avec la même rigueur.
Des évolutions négatives ont été constatées durant les deux derniers mois. Durant les 6 dernières semaines précédant le 30 octobre 2002, nous n’avons pu nous entretenir avec notre client que pendant une heure en tout. Au cours de cette période, les membres de la famille n’ont pas pu rendre visite au détenu. Dans ses rapports concernant les conditions de vie de M. Ocalan, le CPT condamne l’isolation pratiquée et insiste sur le fait qu‘elle peut favoriser une évolution négative des pratiques en matière de conditions de détention. Ces pratiques sont contraires au droit interne turc de même qu’elles sont contraires aux articles 3,5,6,8 et 14 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Du fait de ces pratiques arbitraires et discriminatoires, nous nous inquiétons sérieusement pour la santé de M. Ocalan.
Comme l’a relevé le CPT, le système d’isolation représente une menace sérieuse pour la santé physique et mentale de M. Ocalan.
Convaincu que votre organisation qui joue un grand rôle dans la prévention des violations du droit international fera preuve de la réaction nécessaire, nous vous souhaitons une bonne réussite dans votre travail.
Me Hatice KORKUT
Me Irfan DUNDAR
Me Bekir KAYA
Me Firat AYDINKAYA
Me Reyhan YALCINDAG
Me Aysel TUGLUK