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En marge du PKK / Kongra Gel : les partis politiques kurdes « légaux » de Turquie.



Le Parti Populaire du Travail (HEP)

En 1989, plusieurs députés d’origine kurde furent expulsés du Parti Social Démocrate (SHP), après leur participation à une Conférence Internationale sur la Question Kurde, à Paris. Ces députés, se regroupèrent alors avec de nombreuses autres personnalités kurdes et turques pour fonder le 7 juin 1990 le Parti Populaire du Travail (HEP). Aux élections nationales du 20 octobre 1991, ce parti s’allia avec le Parti Social Démocrate et obtint ainsi 22 sièges au Parlement turc.

Après avoir prêté serment en turc à l’Assemblée Nationale, comme le voulait le protocole, Leyla Zana, député de Diyarbakir, ajouta en kurde : "J’ai fait ce serment pour la fraternité des peuples turc et kurde". En représailles, les députés kurdes subirent de violentes attaques. Le Président départemental du HEP à Diyarbakir, Vedat Aydin fut enlevé à son domicile et torturé à mort. Ce premier assassinat dont l’auteur resta "inconnu" souleva une grande émotion populaire. Alors que plus de cent mille personnes assistaient aux funérailles, les hélicoptères et les tanks des "Forces Spéciales" de l’armée turque attaquèrent le convoi funéraire. Des dizaines de personnes furent tuées, des centaines blessées. Parmi les victimes, figuraient des journalistes et des députés.

Le 21 mars 1992, alors que les Kurdes fêtaient leur Nouvel An (Newroz), les forces de l’ordre attaquèrent les villes kurdes de Sirnak, Cizre et Nusaybin et mitraillèrent de nombreuses personnes, parce qu’elles portaient les couleurs du drapeau kurde (vert, jaune, rouge). A Nusaybin, 20 personnes furent assises sur un pont et écrasées par des tanks.

En réaction à ces exactions, 18 députés kurdes démissionnèrent du Parti Social Démocrate pour rejoindre le HEP, le 1er avril 1992. Ce fut le début d’une longue série d’arrestations, de tortures et d’assassinats alors que l’Etat turc poursuivait en justice le HEP, pour obtenir sa dissolution, qui fut effective le 14 juillet 1993. Entre temps, 57 dirigeants et membres du parti avaient été assassinés.

Le Parti pour la Liberté et la Démocratie (OZDEP)

La fermeture du HEP n’entama pas la détermination des Kurdes. Alors que le procès visant à sa dissolution n’était pas achevé, un nouveau parti, le OZDEP, fut fondé. Mais, son programme proposait une solution fédérale au problème kurde et il fut interdit le 23 octobre 1993.

Le Parti de la démocratie (DEP)

Le Parti de la Démocratie (DEP) fut fondé par des députés du HEP le 7 mai 1993. A cette date, le premier cessez-le-feu unilatéral du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan), en lutte armée contre l’Etat turc était toujours en vigueur. Mais ce cessez-le-feu n’avait pas mis fin à la répression.

Après plusieurs assassinats perpétrés dans la ville kurde de Batman, une délégation du DEP se rendit sur place le 4 septembre 1993, pour enquêter. La délégation, composée de députés et de dirigeants du parti, dont le Vice-président, Nesimi Kilic, arriva à l’aéroport de Diyarbakir et fut mis immédiatement sous surveillance. Puis, au cours de son enquête, la délégation fut attaquée au grand jour, essuyant des coups de feu qui tuèrent le député de Mardin, Mehmet Sincar, un membre de la section départementale de la ville de Batman, Metin Özdemir, et blessèrent le député de Batman, Nizamettin Toguc.

Le Bureau National du DEP, réuni d’urgence, décida de transporter le corps du député assassiné au siège du parti pour une cérémonie, avant de l’enterrer à Kiziltepe, sa ville natale. Mais les forces de l’ordre s’emparèrent de la dépouille et empêchèrent par la force qu’il lui soit rendu hommage. Quand les dirigeants du DEP se rendirent au domicile de la victime, ils furent attaqués durant la nuit par des tirs et des grenades, qui blessèrent six femmes et deux enfants.

La répression s’intensifia alors dans tout le pays. Le Président du parti, Yasar Kaya, fut arrêté le 16 septembre 1994 et emprisonné. Le Secrétaire Général, Murat Bozlak, fut attaqué à son domicile, en plein centre d’Ankara et n’échappa que par miracle à la mort. Le parti se préparait aux élections municipales de 1994, mais dès que des candidats étaient désignés, ils étaient arrêtés, menacés ou torturés. Le siège du parti fut plastiqué : un mort et 17 blessés. Devant la gravité de ces attaques, le DEP renonça finalement à se présenter aux élections. Par la suite, un procès fut intenté en vue de l’interdiction et la dissolution du parti. On leva pour cela l’immunité parlementaire de huit députés kurdes le 2 mars 1994. Quatre d’entre eux, Leyla Zana, Hatip Dicle, Orhan Dogan et Selim Saddak furent condamnés à quinze ans de prison chacun. Six autres députés durent quitter le pays. Finalement, le DEP fut dissous le 16 juin 1994. 24 de ses dirigeants et membres avaient été assassinés.

Le Parti de la Démocratie du Peuple (HADEP)

Le HADEP fut fondé le 11 mai 1994 et commença son activité politique en abordant ouvertement le problème kurde. Dès le 2 juin 1994, l’un de ses fondateurs, Muhsim Melik, fut assassiné à Urfa. Plus aucun député kurde ne siégeait au Parlement et ils avaient tous été destitués de leurs fonctions municipales. Devant les tensions qui en résultaient, des élections partielles furent décidées et la loi fut modifiée afin de permettre au HADEP d’y participer. Mais, estimant que de nouvelles élections ne changeraient en rien la situation, le parti décida de les boycotter et réussit par ce biais à les faire annuler par le Tribunal Constitutionnel.

Le HADEP développa d’actives relations avec d’autres partis politiques, des syndicats et des associations, en vue de restaurer la paix et de faire accepter la proposition d’un cessez-le-feu unilatéral par le PKK.

Les arrestations continuaient. Deux de ses dirigeants furent arrêtés à l’aéroport d’Ankara, le Vice-président et le Vice-secrétaire général au siège du HADEP, le responsable de la section d’Ankara à son domicile. Après neuf jours de détention, au cours desquels ils furent gravement torturés, ils passèrent en jugement et furent emprisonnés.

Le 25 avril 1995, le Vice-président du HADEP fut victime d’une tentative d’enlèvement alors qu’il quittait son domicile pour se rendre à son bureau. Les auteurs, pris à parti par des commerçants et par un agent de la circulation, furent arrêtés : il s’agissait de trois policiers. Ce scandale contribua à faire acquitter et libérer les dirigeants du HADEP.

La politique menée par le gouvernement ne pouvait que conduire la Turquie dans une impasse. Pour y remédier, des élections anticipées furent prévues le 24 décembre 1995. Le HADEP mena une campagne pour dénoncer la répression dont il était victime et réclama la présence d’observateurs qui ne purent que constater les pressions exercées contre lui. Malgré cette répression, le bloc conduit par le HADEP et composé du DDP, du SBP (Parti Socialiste Unifié) et du SIP (le Parti Socialiste du Pouvoir) remporta les élections dans la majorité des villes kurdes en atteignant un score de 60 % dans certaines provinces kurdes et 4,3 % au niveau national. Il n’obtint pas de siège à l’Assemblée en raison du seuil de 10 % des voix nécessaires au niveau national.

Le HADEP poursuivit cependant son action politique. Le 23 juin 1996, sa deuxième assemblée générale rassembla plus de 30.000 personnes. C’est alors que des inconnus, agissant devant des centaines de policiers, descendirent le drapeau turc, malgré l’opposition insistante du Président Murat Bozlak et celle du Conseil du Congrès. A la suite de cet incident, M. Bozlak et 49 autres dirigeants du Parti furent arrêtés par les forces de l’ordre, qui blessèrent plusieurs dizaines de personnes s’opposant à ces arrestations.

Peu après, la délégation du département de Maras subit une attaque à main armée, qui fit deux morts et un blessé grave. Des locaux du Parti furent plastiqués ou essuyèrent des tirs à Izmir, Hatay et Iskenderun. Une campagne hostile au HADEP fut organisée, sous le slogan "Respect au drapeau". 39 dirigeants du parti furent finalement inculpés le 4 juillet 1996. Quant aux responsables de l’incident, ils ne furent jamais retrouvés, et ce malgré les nombreux effectifs policiers qui assistaient au congrès.

Durant les dernières années, une dizaine de partis politiques ont été dissous en Turquie à cause des dispositions de leur programme sur la question kurde. Aujourd’hui encore, les partis pro-kurde qui proposent une solution démocratique à la Question Kurde sont victimes d’une sévère répression et risquent à tout moment d’être interdits.

Ce ne sont pas seulement les partis politiques qui sont victimes d’interdictions et d’attaques, mais aussi les associations des Droits des l’Homme, les institutions culturelles, les organes de presse, et les intellectuels. Ainsi, plus de 3.500 hommes politiques, défenseurs des droits de l’Homme, journalistes, hommes d’affaires et personnalités kurdes furent assassinés. Akin Birdal, le président de l’Association des Droits de l’Homme de Turquie, a été grièvement blessé en 1998 par les "escadrons de la mort". Les auteurs de cette attaque, finalement arrêtés sous la pression internationale se sont révélés êtres des membres des services de sécurité de l’Etat.

En avril 1999, le HADEP put difficilement faire campagne, tant la pression policière s’exerça contre lui. Tout meeting lui était refusé, le boycott général des médias fut aggravé par la fermeture de la chaîne kurde MED-TV, seul moyen d’expression des Kurdes. Alors que le HADEP réunissait, en intention, environ 70% des voix dans les régions kurdes, la fraude généralisée dans les villes et les villages sous état d’urgence, ainsi que la terreur exercée contre les électeurs pour les dissuader de voter HADEP, ne lui permirent pas de passer la barre des 10 % nécessaires pour qu’un parti siège à l’Assemblée. 37 maires ont cependant été élus.

L’affaire Öcalan fut ressentie douloureusement par la classe politique kurde, car elle eut à subir une campagne de presse très violente et un isolement grandissant au sein de la Turquie. Les partis de gauche turcs qui le soutenaient habituellement se désistèrent avant les élections, par crainte des représailles. Lors des fêtes du Newroz (Printemps) 1999, des milliers de personnes furent arrêtées. En juillet, à la suite de "révélations" d’un membre du PKK enlevé en Europe, le Président de la section d’Istanbul et onze autres membres du HADEP ont été mis arbitrairement en garde-à-vue durant 24 heures.

L’existence du parti reste incertaine : une procédure a été lancée en janvier 1999 pour son interdiction.

Le 24 février 2000, Murat Bozlak (ex-Président), Ahmet Turan Demir (actuel Président) et 16 autres membres du HADEP ont été condamnés à 3 ans et 9 mois de prison pour "soutien et recel" en faveur du PKK : ils ont formé un pouvoi en Cassation. Les maires de Diyarbakir, Siirt et Bingol ont été mis en état d’arrestation pour "recel d’une organisation illégale" (sympathie présumée avec le PKK). Réintégrés dans leurs fonctions à la suite de pressions internationale, ils risquent également de lourdes peines de prison.

Malgré une vague d’arrestations destinée à entraver la tenue du congrès du HADEP, plus de 30.000 personnes ont participé à la journée d’ouverture à Ankara. Murat Bozlak a été élu pour reprendre la direction du parti le 26 novembre 2000.

Les juges de la Cour constitutionnelle turque ont estimé (entre autres) que le HADEP agissait contre l’intégrité de la Turquie et de la nation en aidant le PKK et ont ordonné sa fermeture en vertu des articles 101 et 103 de la Loi sur les partis politiques, et des articles 68 et 69 de la Constitution.

Le parti HADEP a été donc définitivement interdit par les autorités turques le 13 mars 2003.

La Cour a ordonné la saisie immédiate des avoirs du parti et a également interdit toutes activités politiques pendant cinq ans à 46 de ses membres.

Le Parti Démocratique du Peuple (DEHAP).

Le DEHAP fut fondé en 1997 par précaution contre un verdict de fermeture du HADEP par la Cour Constitutionnelle.

Après la déclaration du président de la Cour Constitutionnelle dans la presse, le président du Parti de la démocratie du Peuple (HADEP) Murat Bozlak, a annoncé qu’il se retirerait des élections de 2002

Après cela le bloc Travail, Paix et Démocratie, qui fut mis en place sous la bannière du DEHAP (Parti Démocratique du Peuple), sera composé du HADEP (Parti de la Démocratie du Peuple), du EMEP (Parti du Travail) et du SDP (Parti Socialiste de la Démocratie).

Quelques extraits du programme électoral du DEHAP :

Le DEHAP maintient l’idée que les peuples kurde et turc et les travailleurs d’autres ethnies doivent vivre ensemble sur la base de l’égalité et de la fraternité, et que le terrain pour cela doit être préparé.

Il demande une solution démocratique à la question kurde.

Il veut promouvoir l’amitié et la fraternité des peuples contre toutes sortes de discriminations et de racisme entre ces peuples.

Il veut promouvoir aussi l’unité et la fraternité entre les ressortissants des différentes religions - sunnite, alévie ou autres - et propose un système légal de garanties pour la minorité des Alévis.

Il demande l’abrogation de toutes les lois et législation entravant l’organisation des travailleurs et ouvriers, ainsi que la liberté de penser et de conscience...

En fait, sa politique séduit de nombreuses franges de l’électorat populaire et jouit du soutien des milieux artistiques et intellectuels turcs, comme les romanciers Yeshar Kemal, Vedat Turkaci, le grand poète turc Sennur Seser ou la star du rock turc Cahim Bektay.

Au total, plus d’une centaine de personnalités du monde des arts et de la culture ont signé un appel à voter en faveur du DEHAP

Mais un procés est en cours à la cour Constitutionnelle pour interdire le DEHAP accusé de proner le séparatisme

Le DEHAP a annoncé en août 2005 sa décision de se saborder et de rejoindre avant la fin de l’année le Mouvement pour une Société Démocratique (DTH), dirigé par Leyla Zana et les anciens députés du Parti pour la Démocratie (DEP, dissous en 1994 pour liens organiques avec le Parti des Travailleurs du Kurdistan - PKK ).

"Le DTH a pris sa place dans l’arène politique comme un moyen important de réaliser les espoirs communs des travailleurs de Turquie et des Kurdes. (...) Nous avons décidé, en tant que parti, de rejoindre le DTH pour renforcer le mouvement kurde, favoriser l’esprit d’union entre les Kurdes, mettre fin à l’émiettement politique, et remplir le vide politique..." indique le communiqué, avant d’admettre l’échec du DEHAP à se faire reconnaître comme un interlocuteur crédible aux yeux des autorités turques dans la perspective "d’un règlement du problème kurde".

Saluant le récent discours du Premier ministre turc à Diyarbakir, qui s’est engagé à régler le "problème kurde" avec "plus de démocratie, de droits civils et de prospérité", le DEHAP a affirmé vouloir prendre ses responsabilités et contribuer aux efforts du gouvernement en matière de démocratisation.

La reprise des actions armées décidée par le PKK en juin 2004 a encore fragilisé la position du DEHAP, qui est soupçonné par les autorités et l’opinion publique turques de n’être qu’une vitrine politique de l’organisation terroriste.

Selon les observateurs de la scène politique turque, l’adhésion du DEHAP au DTH répondrait à une quête de respectabilité que l’aura internationale d’une Leyla Zana pourrait lui donner, mais aussi à la volonté de peser sur les orientations de ce mouvement et l’empêcher de s’émanciper de la mouvance kurde radicale incarnée par le PKK et ses différents avatars légaux (HEP, DEP, HADEP, et DEHAP).





Sources : http://apa.online.free.fr/article.php3?id_article=702