lundi 17 octobre 2005
Villefranche-sur-Saône (Rhône) envoyé spécial
c’était la grande fierté du directeur. Sa maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône n’avait jamais connu d’évasion réussie. Il ne pourra plus le dire. Samedi, deux détenus s’en sont enfuis, avec l’aide de deux complices. Une opération menée rapidement, avec des armes de guerre, et une facilité déconcertante.
Il était 14 h 20. Pascal Gendry et Dragan Mikic, prévenus pour des affaires de vols à main armée, venaient de rejoindre leur cour de promenade, dans un angle de la prison. Un fourgon blanc s’est alors rapproché de la maison d’arrêt, par une impasse bordée de pavillons. Une petite résidence, dont les jardins s’achèvent à quelques mètres du mur d’enceinte. Deux hommes sont sortis du fourgon pour découper le léger grillage qui sépare l’impasse de la pelouse entourant la prison. Un riverain, choqué, s’est approché d’eux. Mais les deux hommes, très pros, se sont tournés vers lui et l’ont braqué en lui disant, très calmement : « Rentre chez toi. » Il est rentré très vite. Et a prévenu le 17.
Kalachnikov. Les deux hommes ont alors enfilé des cagoules et rejoint le mur d’enceinte, en portant des échelles. Ils en ont posé deux contre le mur, tout en tirant à la Kalachnikov sur le mirador situé au-dessus, afin d’empêcher le surveillant d’ouvrir sa fenêtre pour riposter. L’un des hommes est ensuite monté sur le mur pour le tenir en joue, pendant qu’un sac contenant une pince coupante était jeté dans la cour de promenade. Les deux candidats à la belle ont coupé le grillage intérieur les séparant du mur, puis ils ont escaladé très vite une troisième échelle, que leurs complices venaient de faire glisser à l’intérieur. Les surveillants ont tiré cinq cartouches contenant des projectiles en caoutchouc, sans toucher les malfaiteurs. Ceux-ci ont riposté avec la Kalachnikov et deux pistolets-mitrailleurs. Une dizaine d’étuis ont été retrouvés.
Une fois de l’autre côté, les quatre hommes sont partis en courant vers le fourgon, et l’évasion aurait alors pu tourner au drame. Les services de police, alertés par le riverain, n’ont en effet envoyé sur place qu’une voiture de la brigade anticriminalité (BAC), avec deux policiers, qui sont sortis de leur véhicule et se sont approchés à pied, sans précaution particulière. « Ils se sont fait artiller sans qu’un mot ne soit échangé », raconte l’un de leurs supérieurs. Un policier a été blessé à la cuisse, et opéré peu de temps après.
Après avoir piqué l’un des pistolets automatiques des agents, les hommes se sont enfuis. Puis ont abandonné leur fourgon à une dizaine de kilomètres au Nord. C’était prudent, car un hélicoptère de la gendarmerie a localisé le véhicule peu après.
Les évadés sont des braqueurs chevronnés, âgés de 36 ans. Ils avaient fait connaissance lors d’une précédente incarcération, à Aiton (Savoie). A l’époque, Pascal Gendry avait réussi, déjà, à écourter son séjour, mais la police judiciaire l’avait repris. Né en Suisse, de nationalité française, « Gendry était au départ un braqueur moyen, raconte un policier. Mais en cavale, il a multiplié les attaques à main armée, ce qui lui a permis de franchir un cran ». Son comparse, Dragan Mikic, est aussi connu sous le surnom de Kili Barda. Né en Serbie, il est de nationalité yougoslave. Or un témoin de l’évasion a remarqué que les complices parlaient eux-mêmes avec un fort accent des pays de l’Est. Les enquêteurs vont fouiller cette piste-là.
Brouilleur en panne. Pascal Clément, ministre de la Justice, s’est rendu à Villefranche samedi, pour constater les dégâts et saluer le gardien de la paix blessé. « J’ai demandé au directeur régional et au directeur de la maison d’arrêt de me faire des propositions pour améliorer la sécurité », commentait-il. Pascal Rossignol, délégué régional Ufap, estime que quelqu’un a prévenu les complices du moment de la promenade, avec un téléphone portable. Or le brouilleur de téléphone ne couvre pas toutes les zones de la prison. Et, selon Pascal Rossignol, il serait en panne depuis six mois. La maison d’arrêt, qui avait déjà fait l’objet d’une tentative de fuite par hélicoptère en juillet, abrite près de 700 détenus. Une fouille importante y a été menée hier.
Le procureur de Villefranche, Francis Battut, a saisi conjointement le service interrégional de police judiciaire, dont le patron était sur place samedi soir, et l’Office central de répression du banditisme. Leur tâche s’annonce rude. Vu le professionnalisme affiché samedi, la cavale et la planque étaient probablement aussi bien préparées.