Le Figaro - 28 juin 2005
Quelque deux cent soixante détenus d’une prison de Lgov, dans l’ouest de la Russie, se sont mutilés pour protester contre leurs conditions de détention, a annoncé hier le parquet régional.
Les prisonniers ont choisi de faire couler leur propre sang. Pour protester contre leurs conditions de détention, plus d’une centaine de détenus du centre carcéral numéro 3 de Lgov, dans la région de Koursk dans l’ouest de la Russie, se sont tailladé la gorge et les poignets. Selon Alexandre Babitchev, le procureur de la région de Koursk, deux cent soixante prisonniers auraient participé à ce mouvement d’automutilation collective, dans la nuit de dimanche à lundi. D’après le bureau du procureur, les prisonniers auraient eu recours à ce moyen radical pour réclamer une amélioration de leurs conditions de détention, en même temps qu’un changement de direction de la prison.
Aucun prisonnier ne serait cependant en danger de mort. Les autorités judiciaires ont démenti qu’il puisse s’agir d’une tentative de suicide collectif. « Une expertise médico-légale a été effectuée et seules des blessures superficielles ont été constatées », a affirmé la porte-parole du parquet de la région de Koursk, Tatiana Severilova. Elle a expliqué que les prisonniers avaient utilisé des lames de rasoir à usage unique, qu’ils avaient conservées par devers eux au lieu de les restituer à leurs gardiens. Les détenus se plaignaient des « règles de détention, d’actes de l’administration pénitentiaire et de mesures de coercition physique », prises à leur encontre, a-t-elle indiqué.
Mais d’après l’organisation non gouvernementale russe Pour les droits de l’Homme, qui affirme se baser sur des « informations non confirmées » émanant directement de l’intérieur de la prison, les automutilations pourraient concerner plus de 500 détenus, « la majorité en se tailladant les veines ou le cou ». D’autres se seraient aussi infligés des coupures aux jambes.
Une autre organisation, le Comité pour les droits civiques, avance le chiffre de 700 mutilés. Selon Iouri Davidenko, son représentant à Koursk, l’organisation aurait reçu de nombreuses lettres d’anciens détenus de cette prison qui dénonçaient les mauvaises conditions de détention dans le centre carcéral numéro 3. Ces lettres feraient état « d’humiliations, de coups, ou de pressions psychologiques ». Le Comité aurait aussi recueilli le témoignage d’une mère de détenu, qui aurait pu voir son fils depuis les faits.
Emus par ces nouvelles et alarmés par le manque d’informations données par l’administration pénitentiaire, une cinquantaine de membres de familles de détenus se sont rassemblés hier devant le centre carcéral de Lgov. Ces parents, qui ont annoncé être prêts à entamer une grève de la faim, exigent eux aussi un changement de direction à la tête de la prison, a précisé le Comité pour les droits civiques. Selon l’organisation Pour les droits de l’homme, l’administration pénitentiaire aurait l’intention de faire déployer aujourd’hui des forces spéciales sur les lieux pour empêcher que le mouvement ne tourne à l’émeute en dehors de la prison, et en mutinerie à l’intérieur.
Les autorités judiciaires de cette région proche de l’Ukraine avaient d’abord affirmé que des contrôles réguliers étaient effectués dans ce centre, et qu’il n’y avait « jamais eu de plaintes ». Le procureur général Babitchev a cependant reconnu hier à la télévision russe qu’« après vérification, des cas de traitement illégal infligés aux détenus ont été établis ». « Ceux qui ont permis ces infractions seront poursuivis », a indiqué le procureur, « mais il n’est pas question d’assouplir les règles de détention ni de faire entrer les parents dans la prison », a-t-il ajouté.
Il y a trois mois, à Irkoutsk, en Sibérie, une dizaine de détenus s’étaient déjà ouvert les veines pour protester contre l’administration pénitentiaire. Mais aucun exemple d’automutilations concertées à cette échelle, impliquant plusieurs centaines de prisonniers, n’avait été encore rapporté en Russie.
Le système carcéral russe, dont les prisons et les colonies pénitentiaires sont héritées du système soviétique, est réputé pour son insalubrité et sa surpopulation. Beaucoup de prisonniers sont entassés dans des établissements où la tuberculose et le sida font des ravages. Les conditions de détention les plus épouvantables sont monnaie courante, et sont régulièrement dénoncées par les organisations de défense des droits de l’homme. Les prisons russes compteraient cette année quelque 763 000 détenus, ce qui place la Russie au troisième rang mondial derrière les États-Unis et la Chine pour la population carcérale.