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Publiée le 18 mai 2006

- Répression


La Rumeur devant ses juges : l’appel

Jeudi 11 mai 2006. Dans la 11e chambre de la Cour d’appel de Paris se tient le procès en appel de Hamé et du directeur de publication du magazine La Rumeur pour « diffamation publique envers la police nationale ». A la tribune sont assis le président du tribunal, deux conseillers (« rapporteurs »), et l’avocate générale représentant le ministère public (ou « parquet »). Face aux juges se tient l’accusé, Hamé. Derrière l’accusé, son avocat Dominique Tricaud, ainsi que l’avocate du directeur de publication. Deux témoins, déjà entendus lors du premier procès, ont été conviés par la défense pour soutenir Hamé : Fabien Jobard, sociologue, et Ekoué de La Rumeur. Après un rappel du jugement rendu en première instance, les juges, l’avocate générale et D. Tricaud poseront tour à tour des questions à Hamé, avant l’audition des témoins, le réquisitoire de l’avocate générale, et les plaidoiries finales des avocats.

Rappel des phrases incriminées et du jugement rendu le 17 décembre 2004

« Les rapports du ministère de l’Intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu’aucun des assassins n’ait été inquiété. »

« (...) au travers d’organisations comme SOS racisme, crée de toutes pièces par le pouvoir PS de l’époque pour contribuer à désamorcer le radicalisme des revendications de la Marche des beurs : l’égalité des droits devient l’égalité devant l’entrée des boîtes de nuit. La justice pour les jeunes assassinés par la police disparaît sous le colosse slogan médiatique "Touche pas à mon pote !" ou "Vive le métissage des couleurs !", etc. »

« Aux humiliés l’humilité et la honte, aux puissants le soin de bâtir des grilles de lecture. A l’exacte opposée des manipulations affleure la dure réalité. Et elle a le cuir épais. La réalité est que vivre aujourd’hui dans nos quartiers c’est avoir plus de chance de vivre des situations d’abandon économique, de fragilisation psychologique, de discrimination à l’embauche, de précarité du logement, d’humiliations policières régulières, d’instruction bâclée, d’expérience carcérale, d’absence d’horizon, de repli individualiste cadenassé, de tentation à la débrouille illicite... c’est se rapprocher de la prison ou de la mort un peu plus vite que les autres... »

Hamé, « Insécurité sous la plume d’un barbare », in La Rumeur Magazine numéro 1 (29 avril 2002)

Le procès en première instance avait eu lieu le 12 novembre 2004 au Tribunal de Grande Instance de Paris. Fort d’une défense remarquable et d’une demande implicite de relaxe par le parquet, Hamé avait pu attendre sereinement le verdict. Ce dernier fut rendu le 17 décembre 2004. Le tribunal y estimait que les critiques formulées contre la police étaient « [générales] » et qu’il n’y avait « pas de faits précis imputables » à une personne ou un groupe de personne - ce qui détruisait l’accusation de diffamation. Il affirmait également que « replacés dans leur contexte, ces propos ne constituent qu’une critique des comportements abusifs, susceptibles d’être reprochés sur les cinquante dernières années aux forces de police à l’occasion d’événements pris dans leur globalité ». Enfin, il jugeait que tenir ces propos relevait de « la liberté d’expression ».

De la plainte à la relaxe, de la relaxe à l’appel : enjeux corporatistes et politiciens

Fabien Jobard (en tant que témoin) et Dominique Tricaud (dans sa plaidoirie) reviendront tous deux lors de ce procès en appel sur les enjeux de la plainte déposée à l’encontre de Hamé. Rappelons-les brièvement. En mai 2002, Nicolas Sarkozy est nommé ministre de l’Intérieur pour la première fois. F. Jobard évoque la « gestion néo-corporatiste de l’Etat », qui veut qu’un ministre, surtout nouveau venu, donne des gages à ses fonctionnaires ; or, des syndicats de police sont demandeurs de plaintes à l’encontre de propos qu’ils jugent insultants ou diffamants, notamment venant de groupes de rap. En juillet 2002, N. Sarkozy dépose ainsi une plainte contre La Rumeur. Mais en novembre 2004, quand le procès en première instance a lieu, N. Sarkozy a été remplacé par Dominique de Villepin au ministère de l’Intérieur ; or, le parquet « indivisible » est très mesuré dans son réquisitoire, et se désolidarise quasi-explicitement de la plainte déposée par le ministère, alors qu’il est partie prenante et est censé le représenter. En avril 2005, le ministère (toujours dirigé par Villepin) fait pourtant appel par le biais du procureur de la République. On frise alors le « ridicule », et on se trouve ainsi selon les termes de F. Jobard face à un véritable « marchandage entre les syndicats de police et leur ministre ». Or, « la justice doit-elle rendre son avis sur ce type de tractations ? Je n’en suis pas sûr », déclare le sociologue, tandis que D. Tricaud interpelle les juges : « sachez que votre décision sera politique... plutôt sarkozyste, ou plutôt villepiniste ».

Retour sur les circonstances de l’écriture de l’article

La première chose que demande la juge rapporteur à Hamé est de préciser à nouveau les conditions d’écriture et de publication de l’article. La même question sera posée à Ekoué lors de son audition. Les deux hommes reviennent donc sur ce « climat » du début de l’année 2002, brillamment dénoncé dans l’article de Hamé, écrit quelques temps avant le 21 avril 2002 : un climat politique et médiatique d’ « hystérie sécuritaire » (selon les termes d’Ekoué), où l’insécurité est imposée au centre des débats de l’élection présidentielle. Hamé évoque ainsi son article comme une « réaction à ce climat, pour donner [sa] définition de l’insécurité, une insécurité plus dévastatrice et touchant de plein fouet les quartiers populaires », dont les habitants « ne sont pas dangereux, mais en danger » : emploi, logement, « éducation poubelle dans des écoles poubelles », manque d’avenir aboutissant parfois à de tragiques « replis sur soi » et « logiques d’autodestruction ». Il rappelle que dans l’article, les « brutalités policières illégitimes et les abus policiers » étaient évoqués comme un « surplus d’insécurité » touchant ces mêmes personnes.

Quand le débat dérive... La Rumeur et les « émeutes urbaines » : incitation ou prophétie ?

Lors de la première instance, le débat avait porté sur les termes de l’article, sur les faits décrits, pour déterminer si, oui ou non, il y avait « diffamation ». La plainte demeurant bien entendu la même en appel, le débat aurait dû soulever les mêmes questions. Mais très vite, la juge rapporteur puis l’avocate générale font dévier le débat, sortant d’ailleurs lamentablement du fond de la question posée par le procès et les phrases de Hamé. Il fallait s’y attendre : novembre 2005 et François Grosdidier sont passés par là...

Dès sa seconde question, la juge rapporteur mène donc Hamé sur un autre terrain, labouré par l’actualité récente et ses faux débats polluants. Voici l’enchaînement des questions, qui parle de lui-même :
- « Les paroles de vos chansons correspondent-elles à ce que vous avez écrit dans l’article ? »
- « Comment définiriez-vous votre public ? »
- « Vous vous posez quand même bien la question du destinataire de vos textes ?... »
- « Le jeune qui lit votre article, que va-t-il penser de la police, quelle image va-t-il en avoir ? »

Hamé répondra que les chansons qu’il écrit se veulent « un constat, par le filtre de [sa] sensibilité, animé d’une volonté de remettre en cause les injustices » ; qu’il parle avant tout pour lui-même et n’a « pas la prétention » de parler au nom des « jeunes de banlieue » ; et surtout que s’il « [spéculait] sur les mille et une manières que [son] texte a d’être reçu », il n’écrirait plus : « quand on chante une chanson devant 500 personnes, on écrit 500 chansons, chacun retenant ce qu’il veut retenir » - le public de La Rumeur étant d’ailleurs particulièrement « hétérogène » et pas seulement « jeune », comme voudrait le lui faire dire la juge, qui évoque la violence à laquelle des textes de rap (et l’article de Hamé) pourraient inciter.

« Ce n’est pas l’art qui fait l’histoire. (...) Ce qui est générateur de violence, ce n’est pas mon article : la violence existe ». La violence existe, tout comme les rapports avec la police, à propos desquels Hamé livre un brillant exposé, en évoquant ces « trois ou quatre générations » que chacun a l’occasion de côtoyer dans les quartiers populaires, et qui toutes portent leur « lot d’histoires individuelles et collectives sur [leurs] rapports avec la police » : « grands-pères, pères, grands frères, petits frères », depuis les ratonnades des années 1960 (avec pour paroxysme le 17 octobre 1961), jusqu’au 27 octobre 2005, en passant par les « étés meurtriers » du début des années 1980. « Nous sommes dépositaires, héritiers involontaires de ce rapport avec la police, qui ensanglante l’imaginaire des quartiers ».

Face aux sous-entendus des questions de la tribune, l’avocat de Hamé brandit la une de Libération du 14 novembre 2005, pendant les émeutes des quartiers populaires, avec La Rumeur en couverture et titrant « Banlieues : la prophétie rap ». Il interroge Hamé sur ce titre. « Peut-être ont-ils écrit cela car ils considèrent qu’on a su capter, flairer quelque chose » ; « peut-être est-ce pour dire que la réalité rattrape notre rap ». D. Tricaud évoquera plus tard dans sa plaidoirie le rap engagé comme ce « thermomètre » qu’il serait scandaleux de « casser » en préférant ne « pas s’attaquer aux vérités » mais « condamner ceux qui les professent ». Il parlera également de la « tradition de liberté de ton et d’expression des artistes engagés, caisses de résonance de la société », tandis qu’Ekoué soulignera que l’article de son ami, au « ton pamphlétaire et ironique », s’inscrit dans « le prolongement » des chansons de La Rumeur, et que son contenu, celui d’un « billet d’humeur », est « lié à l’esprit de création ».

Les « frères » et les « assassins »

« Qui appelez-vous vos "frères", qui semblent se faire trucider en toute impunité ? »

Le procès donna tout de même lieu à un débat sur les termes employés par Hamé dans son article. Celui de « frères » semble avoir particulièrement gêné la juge rapporteur, qui osa poser aussi trivialement sa question. Hamé l’évoqua comme un « terme usuel », à forte « charge affective », désignant une « fratrie avec laquelle on peut se trouver des cicatrices et des espoirs en commun », au-delà de toute distinction de couleur de peau ou de religion.

« Vous avez fait des études, vous connaissez le sens des mots... »

Plus important était le débat sur l’emploi dans l’article du terme d’ « assassins » pour désigner les policiers ayant tué. Là est même une des questions fondamentales pour déterminer s’il y a « diffamation » ou non. Juridiquement, un assassinat désigne en effet un homicide volontaire avec préméditation. Là encore, Hamé affirme qu’il employait ce terme dans son « sens usuel », comme « synonyme de meurtre », ignorant sa signification juridique jusqu’à ce que la plainte soit déposée et étayée en juillet 2002. Son avocat signalera d’ailleurs - et l’intervention du grand historien Maurice Rajsfus en première instance l’avait rappelé - que dans le cas du 17 octobre 1961, il y a de manière avérée homicides volontaires avec préméditation.

« Nous ne sommes pas seuls dans le box des accusés »

Le procès en première instance avait permis d’affirmer, grâce à ses nombreux témoins, une profonde solidarité autour des propos de Hamé. La dimension collective y était évidente. D. Tricaud revient sur cette dimension, déclarant n’avoir « pas le sentiment de soutenir une thèse marginale », et convoque non seulement des propos de Saïd Bouamama et Pierre Tévanian (tous deux témoins en première instance), mais aussi la Commission nationale consultative des Droits de l’homme, Amnesty International, une circulaire d’un préfet de police, et encore d’autres textes où figurent substantiellement les mêmes propos que ceux incriminés. « Que fait le parquet ? Il faut les punir ! Nous ne sommes pas seuls dans le box des accusés ! », assène-t-il ironiquement. D’ailleurs, juste derrière le box des accusés, parmi le public, le Mouvement de l’Immigration et des Banlieues, le collectif « Résistons ensemble contre les violences policières et sécuritaires », ou encore le collectif « A toutes les victimes des révoltes de novembre 2005 » sont présents.

A la barre, Fabien Jobard signale que ce qui lui est demandé implicitement dans ce tribunal en tant que sociologue - comparer les propos de Hamé aux faits, pour dire s’ils sont justes - est difficile. Car s’il est évident que les morts sont nombreux et les affaires judiciaires mettant en cause des policiers difficiles à mener, il faut rappeler que « la police est caractérisée par l’opacité et le secret » ; que cette opacité est génératrice d’un « déni », et qu’à ce déni s’oppose nécessairement une « outrance ». Or, il juge « déplacé de faire porter sur tel ou tel propos outrancier une culpabilité ». La vraie question est donc selon lui celle du déni et de l’opacité de l’institution - l’avocate d’EMI le rejoindra sur ce point dans sa plaidoirie finale, en se solidarisant clairement aux propos de Hamé qu’elle juge « pas gratuits » et résultant d’une « véritable analyse fondée sur des faits objectifs ».

La prétendue diffamation

La question des faits énoncés dans l’article de Hamé ne fut donc pas au cœur des débats. Il faut dire qu’elle avait été amplement traitée en première instance, et c’est ce qui permet à D. Tricaud de déclarer à l’avocate générale, représentante du ministère public : « j’attendais autre chose de cet appel. On ne voit pas ce qui est apporté de plus par l’accusation ». De fait, aucun argument convaincant n’est apporté par le réquisitoire de l’avocate générale, qui se contente de critiquer le jugement du 17 décembre 2004 en contestant chacun de ses points, sans pour autant étayer sa contestation : elle maintient qu’il s’agit d’une « attaque dirigée contre la police nationale portant sur des faits précis », une « imputation grave, visant l’ensemble de l’administration, d’avoir commis et de commettre des assassinats en toute impunité ». Elle réclame « une sanction qui ait valeur d’exemple », pour punir ce texte « qui peut conduire à radicaliser les jeunes face à la police ».

Dans sa brillante plaidoirie, D. Tricaud remet en cause la plainte déposée par le ministère de l’Intérieur, en revenant sur chacune des phrases incriminées - et signale au passage que la délimitation des passages soulignés et jugés diffamatoires dans la seconde et surtout la troisième phrase pose problème. Il apparaît au final que seul le terme d’ « assassin » est lourd de questions - le jugement du 17 décembre 2004 avait à ce propos souligné la « bonne foi » de Hamé. Mais D. Tricaud souhaite aller plus loin.

« La Justice est en cause »

En argumentant autour des phrases incriminées, D. Tricaud affirme en effet que dans les propos de Hamé, ni la police ni le ministère de l’Intérieur ne sont visés, mais bien la Justice : « la Justice est en cause ». En effet, Hamé condamne dans son article la Justice qui n’ « inquiète » pas, et qui « disparaît » : « on ne peut pas reprocher aux policiers de ne pas se condamner eux-mêmes ! », dit l’avocat.

Toute la question est donc celle de l’indépendance de la Justice, et sur ce point, l’avocat dénonce sous forme de questions : d’une part, « le parquet a-t-il pour vocation d’être l’avocat du ministère de l’Intérieur ou de la police nationale ? », « pourquoi le parquet s’autoproclame-t-il avocat d’une des parties » quand la police est en cause ? Et d’autre part, pourquoi le degré de preuves demandé dans des affaires mettant en cause des policiers est-il « sans commune mesure » avec les autres affaires ? Pourquoi la Justice défend-elle si bien la police, alors qu’elle s’abat lourdement par exemple sur les révoltés de novembre ?

Une question évidente découle logiquement des propos de l’avocat : est-ce « diffamer » que de dénoncer la non application de fondements de la République, en l’occurrence la séparation des pouvoirs et l’égalité devant la Justice ?

Voici les cadavres que la police ne veut pas voir...

Dans les premières minutes du procès, quand ce fut au tour de D. Tricaud de poser des questions à son client, il interrogea Hamé : « pouvez-vous nous donner des exemples de personnes tuées par la police ? ».

Dans le silence de la 11e chambre, à la fenêtre de laquelle flottaient deux grands drapeaux tricolores dominant l’île de la Cité, Hamé, dont le nom de famille fut systématiquement écorché par l’avocate générale et la juge rapporteur, prononça d’une voix blanche, droit, face aux juges :

« Malik Oussekine ; Makomé ; Abdelkader Bouziane ... »

Comme dans ces hommages funéraires où les morts sont invoqués pour les convier parmi les vivants, une vingtaine de noms furent prononcés. Des noms de morts victimes de meurtres jugés sans importance. Des noms de morts, pour quelques instants ressurgis de l’opacité, de l’oubli, des dénis policiers et judiciaires - car ils sont morts, et ceux qui ont tué sont libres.

Espérons que le 22 juin 2006, la Justice reconnaîtra le droit de s’en souvenir et de le dénoncer.


Sources : A Contre Sens
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