Le procès de onze militants présumés du Front révolutionnaire de libération du peuple (DHKC) se poursuit jusqu’au 28 janvier sous haute surveillance devant le tribunal correctionnel de Bruges. Le ministère public, soutenu par le magistrat fédéral Johan Delmulle, a demandé des peines de prison jusque dix ans pour les accusés. Le tribunal prononcera sa décision vers la fin du mois de février.
Tout récemment, nous avons reçu deux informations concernant ce procès politique. Alors que la première information, donnée par le quotidien turc Aksam, révélait que le tribunal de Bruges est présidé par l’ancien président du Comité P, Freddy Troch, en raison de "sa connaissance des Turcs", l’autre diffusée au nom de Resistance Istanbul réfute les accusations du procureur fédéral dans ce procès.
Aksam : "Le tribunal est présidé par l’ancien président du Comité P"
Le journal quotidien De Morgen a dévoilé l’activité de "l’Etat profond" de la Belgique visant les Turcs de ce pays. Selon l’article publié hier dans ce journal, la Gendarmerie Belge a organisé en 1996 une opération appelée "Asi", dans le but de démanteler les délinquants et les trafiquants de drogue. Dans le cadre de cette opération, 93.300 Turcs ont été surveillés secrètement. La Gendarmerie a ainsi obtenu, par des voies illégales, des renseignements relatifs aux Turcs.
Selon l’allégation, les autorités officielles turques ont participé à cette opération. M.Willy Deridder, général commandant de la Gendarmerie Belge, est allé à Ankara avant l’opération sous prétexte de signer l’accord de coopération en matière de lutte contre le trafic de drogue, la terreur et les crimes organisés. Johan Vande Lanotte, ministre de l’intérieur et Stefaan De Clerck, ministre de la Justice, n’ont pas été informés au sujet de ce voyage.
Lorsque cette visite secrète a été portée à la connaissance de l’opinion publique, le ministre De Clerck a donné l’instruction pour l’ouverture d’une enquête. Suite à cette instruction, le "Comité P", chargé de servilité les activités des forces de sécurité, a entamé une investigation relative à l’opération "Asi". Au terme de ses travaux, le Comité P a préparé un rapport en 2001. Toutefois, ce rapport n’a pas été rendu public.
La publication du rapport a été empêchée par Freddy Troch qui a été président du Comité P de 1993 à 1996. Dans le rapport publié ultérieurement, la Gendarmerie Belge a été blanchie. Le Comité P a défendu l’idée que la surveillance secrète de la gendarmerie ne présentait aucun aspect politique et que cela ne violait en rien les droits de citoyenneté des Turcs.
Monsieur Freddy Troch, ex-président du Comité P a été nommé à la présidence du Tribunal correctionnel de Bruges qui siège actuellement dans l’affaire Fehriye Erdal. Les juges de la région ne veulent pas siéger dans cette affaire et c’est pour sa parfaite connaissance des Turcs, depuis l’opération "Asi" qu’il aurait été nommé spécialement dans cette affaire. (Aksam - www.belexpresse.be, 1er février 2006)
"Le procureur semble ignorer les principes fondamentaux du droit"
Le 4 février 2006, un long communiqué diffusé par e-mail au nom de Resistance Istanbul qualifie les accusations du procureur non compatibles avec les principes élémentaires de la justice sur base des arguments suivants :
" - Le procureur fédéral a requis pour les 11 personnes inculpées, des peines maximales allant jusqu’à dix ans de prison. En agissant ainsi, il semble ignorer l’un des principes fondamentaux du droit, celui de la proportionnalité du châtiment par rapport au crime. Car, à ce jour, on se demande encore et toujours de quel crime concret ce procureur accuse les prévenus. En tout cas, dans son réquisitoire, il n’est pas une seule fois question de crimes malgré les années de prison qu’il requiert.
" - En réalité, il recherche par la démagogie à imposer au tribunal le raisonnement suivant : "Le DHKP-C est une organisation de guerre. Qu’importe si les accusés n’ont pas commis d’attentats ici. Ils le font bien en Turquie. Par conséquent, il faut les punir pour les actes qu’ils commettent ou qu’ils risquent de commettre en Turquie..." En un tournemain, il a fait de la majorité des inculpés des membres du "comité central" et les a tenu responsables et punissables de tout et pour tout ce que l’organisation a fait dans le monde entier.
" - Voyant que la fiction qu’il a lui-même inventé ne permettait pas juridiquement de condamner les prévenus, il s’est inspiré de la "doctrine de guerre préventive" si chère à l’impérialisme américain : "Nous devons punir ces inculpés par des peines maximales. Cela servira d’exemple pour tous ceux qui voudraient faire de notre pays un repaire et une base pour le terrorisme. D’autre part, si l’on maintient ces inculpés en liberté, ils pourraient commettre un attentat à Bruxelles du même ordre que les attentats perpétrés dans le métro de Londres. C’est pourquoi, il faut dès aujourd’hui prendre nos précautions et donner une peine qui servira d’exemple..." Aucun juriste digne de ce nom ne peut prendre de tels propos au sérieux au nom du droit. Parce que ces propos n’ont pas même le moindre lien avec le droit bourgeois qui est lui-même le fruit de siècles de progrès de l’humanité.
" - Le procureur fédéral traite les inculpés des "criminels potentiels" sans même recourir à des preuves concrètes. Il dit notamment ceci : "Avant que demain, ils ne commettent d’attentats, il faut les punir dès aujourd’hui". Y a-t-il la moindre trace du droit dans cette mentalité ? Pas la peine d’en chercher : le droit, pour lui, ça n’existe pas. Vraisemblablement, le procureur fédéral a dû prendre des cours aux Etats-Unis. En effet, les lois que l’impérialisme US a adopté à la suite des attentats du 11 septembre trahissent la même mentalité. D’après la législation "antiterroriste" américaine, la simple suspicion peut valoir des années de prison. Le procureur fédéral belge aurait pu, dans la même perspective, requérir la garde à vue illimitée et à perpétuité juste parce que les prévenus pourraient peut-être, éventuellement, un jour, commettre un délit ! Sait-on jamais !
" - Le procureur ne se décide pas à définir la nature de notre organisation . Le procureur fédéral qualifie tantôt le DHKP-C d’organisation terroriste, tantôt d’organisation criminelle. Pour qu’il puisse nous accuser de terrorisme, il faut que notre organisation eût commis un acte "terroriste" en Belgique. Seulement, un tel acte, il n’y en a pas. De plus, lorsque la perquisition de Knokke eut lieu, il n’existait pas encore en Belgique de "loi anti-terroriste".
" - L’une des plus grandes perspicacités du procureur fédéral Johan Delmulle est sans doute d’avoir découvert la thèse de "la Turquie qui a changé". Il se permet même de nous donner des leçons sur la manière de lutter en Turquie dans le respect de la démocratie et s’évertue à blanchir le fascisme de l’Etat turc au mépris des dizaines de dossiers relatant la cruelle "réalité actuelle de la Turquie" qui ont été consignés à la cour. De ces dossiers dégouline le sang : leurs pages sont émaillées de récits de tortures, de massacres, d’atrocités en tout genre, commises dans les prisons, d’incendies de villages, d’exécutions extrajudiciaires, de persécutions et de censures. Malgré toutes les preuves implacables avancées par la défense sur la poursuite du terrorisme d’Etat, le procureur s’est obstiné à répéter le même refrain du "changement" de la Turquie.
" - Alors que le procureur nous présentait un tableau jovial de la situation en Turquie, l’avocat de la partie civile qui, lui, défend l’Etat turc, n’a pas pu réfuter la réalité. Ecoutons ses aveux : " En effet, de tels actes se sont produits en Turquie. Il y avait la torture à une certaine époque. Mais la Turquie avait des raisons pour agir ainsi ". Il a dû ainsi reconnaître les pratiques de la contre-guérilla. Cependant, il justifie la torture et en légitime un futur recours en cas de nécessité. On peut comprendre l’avocat de la partie civile qui perçoit de l’argent de l’Etat turc pour faire l’apologie du régime. Par contre, on s’interroge encore et toujours sur les véritables motivations d’un procureur fédéral qui n’a aucun lien direct avec les faits cités dans le procès.
Au cours de ce procès, toutes les principes élémentaires de la présomption d’innocence, de la rigueur et de l’objectivité juridiques ont volé en éclats. L’arbitraire y a atteint des proportions théâtrales. Ainsi, l’Etat fasciste de Turquie affirme que la Belgique se fait le "parapluie du terrorisme". Le procureur fédéral prend ce discours à la lettre et requiert des peines colossales exemplaires "pour montrer que la Belgique n’est pas le refuge au terrorisme". Est-ce que le droit appliqué en Belgique va exécuter les désidératas du régime fasciste d’Ankara ? En tout cas, c’est que ce souhaite le procureur fédéral.
" - La question qui importe aujourd’hui est celle qui concerne l’application ou non du droit par les organes judiciaires belges. Châtier des personnes pour l’exemple sans se baser sur la moindre preuve de délit, incriminer un bureau d’information qui fonctionne en respect de la loi belge et agir selon l’arbitraire, sont des démarches propres aux régimes fascistes. S’il existe encore une démocratie bourgeoise en Belgique et si le droit émanant des fondements démocratiques de l’Etat belge est encore d’application, il ne peut y avoir de place pour un tel réquisitoire ni pour un tel procureur à un pareil poste. Est-ce le droit bourgeois ou les lois de Guantanamo qui triompheront en Belgique ? Nous le verrons bientôt. " (Resistance Istanbul - resistanbul@hotmail.com , 4 février 2006)