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L’"apologie" de l’anarchiste Nikos Matzotis devant les juges (7 juillet 1999)

L’anarchiste grec Nikos Maziotis a été condamné, le 7 juillet 99, à quinze ans de prison. Il avait été arrêté le 13 janvier 98 pour sa solidarité active avec les habitants de la baie de Strymonikos, dans la Macedoine grecque, en lutte contre les installations métallurgiques de traitement de l’or de la multinationale canadienne TVX Gold. Un mois après son arrestation, Nikos, à travers une lettre adressée à un journal, assumait la responsabilité d’une attaque à l’explosif contre le ministère de l’Industrie et du Développement, réalisée le 6 décembre 97 à Athènes, comme acte de résistance et de complicité avec les villageois qui s’affrontaient avec la police venue défendre les armes à la main l’or et ses nuisances. L’action revendiquée par Maziotis - une bombe qui n’a pas explosé - se liait concrètement à une lutte qui avait dépassé depuis longtemps les limites de la légalité et des négociations. La vie contre les poisons industriels, la révolte contre leurs ministères, l’auto-organisation des villageois, un blocage qui arrête les projets d’une multinationale sur une route de montagne - tout cela nous raconte cette “ apologie “, prononcée le 7 juillet devant les juges. Elle nous parle de solidarité révolutionnaire, de guerre sociale, des véritables terroristes et de ceux qui ne veulent plus de leur terreur faite de travail et de matraques, de plomb et de mensonges médiatiques. Elle nous parle également de l’histoire grecque et des conflits d’aujourd’hui, d’une critique globale de la société étatisée et capitaliste qui n’oublie jamais - en dépit des tous les avocats du pouvoir - sa banalité fondamentale : les responsables existent et on peut les frapper.

Contre toutes les distinctions bâties sur le code pénal (moins un acte est risqué et plus il est juste, ou vice versa), la déclaration de Nikos n’est pas l’apologie d’un acte isolé, mais celle d’une révolte qui nous dit : l’important, ce n’est pas la bombe, mais la main qui la pose.

L’ " APOLOGIE " DE L’ANARCHISTE NIKOS MAZIOTIS

Devant la cour d’assise Avant tout, je ne veux pas passer pour un garçon comme il faut dans ce lieu où j’ai été contraint de venir. Je ne vais pas me disculper car je ne me considère pas comme un criminel. Je suis un révolutionnaire. Je n’ai rien à me reprocher. Je suis fier de ce que j’ai fait. Les seules choses que je regrette, ce sont : l’erreur technique qui n’a pas fait exploser la bombe sur laquelle on a trouvé mon empreinte digitale (cause de mon inculpation) ; et le fait que les armes et la dynamite trouvées ne devaient pas être chez moi, mais ailleurs.

Vous devez prendre en compte le fait que, bien que vous soyez des juges qui siégez plus haut que moi, nous, les révolutionnaires, nous vous avons jugés avant que vous nous jugiez. Nous nous trouvons dans des camps opposés. Donc ennemis.

Les révolutionnaires, la justice révolutionnaire - parce que je crois que ce tribunal ne représente pas la justice : c’est la justice entre guillemets -, les révolutionnaires, disais-je, souvent jugent beaucoup plus impitoyablement leurs ennemis quand ils ont l’occasion de le faire.

Dans mes propos, je remonterai quelques années en arrière. Ici vous ne devez juger aucun de mes crimes. Nous parlerons, au contraire, de crimes commis par d’autres que moi. Nous parlerons des crimes de l’Etat, des magouilles, de la justice, de la police...

On peut dire que ma politisation commence par ma participation à une manifestation, en 1985. C’était le 17 novembre. J’avais à l’époque quatorze ou quinze ans, et un flic, un certain monsieur Melistas, tua un garçon de quinze ans, Michalis Kaltezas. Assassinat ! Je ne pris pas part aux événements de cette nuit-là, quand la faculté de chimie fut occupée et les forces spéciales de la police expulsèrent les anarchistes et les jeunes présents. Le lendemain, si je me souviens bien, vu qu’à l’époque j’étais petit et je n’avais pas d’informations précises, cinq mille personnes occupèrent l’Ecole Polytechnique. Les occupations furent organisées justement comme réaction à l’assassinat de Kaltezas par la main du policier Melistas.

Cinq ans plus tard, au mois de janvier 1990, la justice acquitta Melistas. Par cela je veux signifier que vous, de fait, vous êtes, du moins pour moi, les responsables moraux du crime. C’est pourquoi j’ai mis mille guillemets au mot justice.

En janvier/février de la même année, je participai personnellement à l’occupation de l’Ecole Polytechnique en riposte à l’acquittement de Melistas. Il y eut des accidents, des magasins furent détruits, des pierres et des cocktails Molotov furent lancés... moi aussi j’étais de la partie. Depuis lors je peux dire en toute conscience être anarchiste.

Et quand je dis anarchiste, je veux dire que je suis contre l’Etat et le capital. Que notre but, c’est la suppression de l’Etat et du régime capitaliste. Que nous voulons une société sans classes, sans hiérarchie et sans domination. Que l’Etat soit la société, voilà le plus gros mensonge de tous les temps. D’après ce dont je me rappelle, Nietzsche aussi disait que l’Etat raconte des mensonges, qu’il ment.

Nous sommes ceux qui s’opposent à la division de la société en classes, la division entre ceux qui commandent et ceux qui exécutent les ordres.

Cette structure de pouvoir qui façonne la société nous voulons la détruire, soit avec des moyens pacifiques, soit avec des moyens violents, même avec les armes, cela ne me pose aucun problème de l’admettre.

Je démens les propos de mon frère qui disait toute à l’heure que je n’avais aucune intention d’utiliser pour la guerre sociale les armes trouvées chez moi. Au contraire, elles étaient bien pour la guerre.

Elles auraient pu, peut-être, ne pas être employées. Mais ce n’est pas le type d’armes que l’on garde chez soi exprès pour ne pas les utiliser, même si cette dernière éventualité peut se présenter. C’étaient donc des armes de guerre et pour la guerre je les emploie... la bombe au ministère fut un acte de guerre.

Depuis 1990 jusqu’à aujourd’hui, j’ai été condamné plusieurs fois pour mes activités, mes multiples formes d’actions.

J’ai été condamné pour insoumission. Non pas parce que j’avais des problèmes à utiliser les armes ou la violence, comme je l’ai souligné aussi devant le tribunal militaire. Le fait même que l’on ait retrouvé des armes chez moi démontre qu’avoir recours à la violence ne me pose aucun problème ; je ne suis pas du tout pacifiste. Puisque ni la société ni l’Etat ne sont pacifiques. Je subis de la violence, je riposte par la violence.

J’ai fait sept mois de prison militaire. J’ai été condamné pour désobéissance et désertion. La deuxième fois que j’ai été arrêté, je suis sorti au bout de cinquante et un jours de grève de la faim.

Je fus arrêté à nouveau en 94 pour l’occupation de la faculté d’économie et commerce (ASOEE) avec cinquante et un autres compagnons, tandis que Georges Balafas et Odysseas Kabouris menaient une grève de la faim.

Cette occupation-là fut aussi un acte de solidarité. Dans une situation où nous ne pouvions nous rassembler nulle part, ni manifester, nous décidâmes d’occuper une faculté universitaire et de l’utiliser comme centre de contre-information sur la question des prisonniers Balafas et Kambouris.

Au mois de novembre 95, ils m’arrêtèrent avec cinq cent personnes lors de la révolte dans l’Ecole Polytechnique. Cette occupation-là fut réalisée parce qu’il y avait beaucoup de prisonniers politiques (Kostas Kalaremas, Odysseas Kambouris, Georges Balafas - arrêté de nouveau a cette époque-là -, Spiros Dapergolas, Christoforos Marinos, plusieurs manifestants de Théssalonique interpellés lors d’un cortège chargé par les flics, le 14 novembre). Un autre but de l’occupation était celui d’exprimer de la solidarité avec les détenus émeutiers de la prison de Koridallos. Pour cela je fus condamné à un an de prison avec plusieurs compagnons. Pour toutes ces actions, mes camarades et moi avons assumé nos responsabilités.

Donc, pendant cette décennie, à partir du moment où je me suis défini comme anarchiste, j’ai utilisé différentes méthodes d’action. J’ai écrit et diffusé des tracts, j’ai collé des affiches, j’ai participé à des occupations violentes ou pacifiques. Par exemple, l’occupation de l’ASOEE n’avait aucun caractère violent ; malgré tout les forces spéciales de la police (EKAM) et les CRS (MAT) nous expulsèrent violemment. Il y avaient même des agents de l’EKAM cagoulés, avec des pince-monseigneur pour briser les chaînes.

Par rapport à l’Ecole Polytechnique, même si nous n’avons pas joué les bons citoyens, nous refusâmes les accusations portées contre nous. Nous expliquâmes les raisons pour lesquelles nous étions entrés.

Devant le tribunal militaire, en 98, j’ai assumé la responsabilité d’avoir brûlé le drapeau grec. Je considère celui-ci comme le symbole d’un pouvoir qui est mon ennemi. Chaque fois que je vois un drapeau grec, je vois mon ennemi, car le drapeau ce sont les policiers, les militaires qui le portent... C’est le symbole de l’ennemi.

Notre but, dans le cadre de ce combat anti-capitaliste et anti-étatique, c’est de nous lier à différentes luttes sociales. Un autre objectif est celui de pousser, en participant à ces mêmes luttes, les choses à l’extrême, c’est-à-dire d’exacerber les affrontements entre ces parties de la société et l’Etat avec sa police. De pousser ceux qui luttent à dépasser les cadres institutionnels, les syndicats, les autorités municipales, bref, tous ces dirigeants qui ne sont pour nous que des ennemis de la liberté humaine. Plusieurs compagnons à moi, avec leurs modestes moyens, se sont engagés dans beaucoup de luttes ; je vais en parler de manière plus détaillée.

En 1989, il y eut une lutte de type écologiste à Aravissos, en Grèce du Nord, parce que les habitants ne voulaient point que l’Entreprise Publique des Eaux (EPE) exploite leurs sources pour approvisionner Thessalonique. Il y eut des affrontements avec la police et les CRS, des pompes à eau furent incendiées, le feu fut mis partout, des barricades furent dressées... Certains de mes compagnons de Thessalonique participèrent à cette lutte, et ils y furent même arrêtés.

En 1990, en Grèce, commence à s’imposer le néolibéralisme (qui s’était développé dans d’autres pays dès les années 80, avec les gouvernements de Reagan et de Thatcher), lequel consiste en la dé-industrialisation, le licenciement massif des travailleurs, la privatisation, la limitation de l’Etat social, c’est-à-dire coupures des salaires, des fonds de retraite et de l’assistance médicale...

Le premier plan de restructuration concernait les entreprises " à risque ". En effet, entre 1990 et 1991, de nombreuses usines du pays furent occupées, à Mantoudi, à Lavrio et à Patras. Encore une fois, dans ces luttes-là, des compagnons à nous étaient présents avec leurs modestes moyens. Notamment dans les mines de Mantoudi et dans l’usine de textile de Paraikï-Paraikï de Patras.

Par la suite il y eut le mouvement étudiant de 90-91, qui fut, à mon avis, un mouvement grandiose. Nous réussîmes à faire abolir la loi du ministre de l’instruction de l’époque, Kontogiannopoulos, qui fut même contraint de démissionner. Le gouvernement de droite de l’époque, dans sa tentative de réprimer le mouvement, employa des infiltrés pour briser les occupations, et le résultat fut l’assassinat du professeur Temponeras à Patras. Un autre homicide d’Etat.

Nous sommes en train d’énumérer des crimes d’Etat, aucun de mes crimes.

Comme riposte à l’assassinat de Temponeras, il y eut une manifestation avec des milliers de personnes. Nous aussi y prîmes partie afin d’exacerber le conflit. Il y eut des affrontements avec la police et l’Ecole Polytechnique fut occupée à nouveau pendant deux jours.

Incendies, barricades, destructions... Pendant cette période-là, le 10 janvier 91, un autre crime fut commis. Lors des affrontements, les CRS provoquèrent un incendie avec des lacrymogènes dans un grand magasin.

Quatre personnes périrent carbonisées. Une fois de plus ce crime resta impuni. Pas d’instruction. L’affaire fut étouffée.

Un an plus tard, mes compagnons - moi, personnellement, je n’y étais pas, mais cela n’a aucune importance - participèrent aux affrontements dans le dépôt des bus de Votanikos, pendant l’été 92, quand l’Etat voulut privatiser l’EAS (l’agence des transports publiques d’Athènes). Lors des affrontements, mes camarades étaient côte à côte avec les employés de l’EAS. Par la suite des travailleurs furent incarcérés sous l’inculpation de sabotage... Ils avaient détruit les bus de la SEP (une compagnie de salopards qui avaient racheté les bus). Là aussi les anarchistes étaient présents avec leurs modestes moyens.

Avant de parler de la lutte des habitants de Strymonikos, je veux parler des derniers événements concernant la mobilisation, l’été 98, des professeurs non-embauchés, et de la mobilisation étudiante pendant l’hivers 98-99. Une fois de plus nous étions de la partie. Un compagnon - Vassilis Evangelidis - qui a témoigné hier a essayé de parler de ça.

Il fut arrêté lors des affrontements qui eurent lieu en janvier 99 au cours d’une manifestation étudiante. En général, partout où il y a des désordres, des affrontements, nous voulons être présents pour attiser les conflits. Pour nous il ne s’agit pas d’un crime. En vérité, c’est dans les émeutes que s’expriment le " peuple souverain " dont parlent les politiciens professionnels, car c’est là que s’exprime la liberté.

Passons maintenant à la lutte des habitants de Strymonikos. Longtemps avant d’avoir posé ma bombe, d’autres compagnons allèrent dans ces villages, parlèrent avec les habitants, publièrent une brochure concernant leur lutte. Je parlerai tout de suite après, et dans le détail, de la lutte de Strymonikos. Avant je veux parler de mon acte même.

A dire vrai, ce qui m’a inspiré, pour poser cette bombe, c’était la considération suivante : les habitants eux-mêmes avaient déjà dépassé les limites. Si c’était une lutte dans le cadre institutionnel, semblable à celles que les syndicats ou les autorités locales essayent de garder confinées ; c’est-à-dire si elle se bornait à une protestation tiède, je n’aurais peut-être rien fait. Mais les camarades là-haut - qui ne sont certainement pas des anarchistes, mais cela ne m’intéresse pas, ce sont des individus qui veulent eux aussi leur liberté - ont dépassé les limites établies. Ils se sont affrontés trois fois avec la police - le 17 octobre 96, le 25 juillet 97 et le 9 novembre 97 -, ils ont brûlé des voitures de flics et des blindés de CRS, incendié des vrilles de TVX Gold, ils entrèrent dans les mines d’Olympiade et ils détruisirent une partie des installations. Certains ont même mené une sorte de guérilla.

Souvent ils sortaient la nuit avec leurs carabines de chasse et ils tiraient des coups en l’air pour effrayer les policiers. Moi, je dis qu’il s’agit de véritables canailles ; c’est eux qui nous ont dépassé.

La répression s’en suivit, notamment en 97, quand la loi martiale fut promulguée dans la région. Le chef de la police de Chalcidique émit un décret qui interdisait les manifestations et les rassemblements. Dans les villages montèrent les EKAM et, pour la première fois depuis 1980, même les AURE, les fourgons blindés de la police. Maintenant ils avaient envoyé les AURE là-haut, près de la Chalcidique ! Je pensais qu’il fallait faire quelque chose, ici à Athènes. Ce n’était pas possible que les autres là-haut subissent la répression tandis que nous restions les mains dans les poches...

Le Ministère de l’Industrie et du Développement était l’une des clés de cette histoire. La lutte de Strymonikos est une lutte contre le " développement ", la " modernisation " et toutes ces conneries-là.

Derrière de telles expressions, il se cache les profits des multinationales, les profits de " nos " capitalistes grecs, les profits des grands chefs de l’Etat et des bureaucrates, de ceux qui touchent des pots de vin, des entreprises techniques... et de tous ceux-là. Le " développement " et la " modernisation " dont ils parlent n’ont rien à voir avec la satisfaction des besoins populaires. Rien à voir. Alors j’ai posé une bombe. La justification de cet acte se trouve dans le texte par lequel la première fois j’avais assumé toutes mes responsabilités. Dans ma déclaration de janvier 98, je dis : placer l’engin signifiait lancer un double message politique. Tout est politique. Même si tu utilises ces moyens, de tels messages sont politiques. La guerre elle-même est un moyen de pression politique. Dans ce cas mon acte était un moyen politique, une pratique politique. Avant tout un message aux habitants des Strymonikos, disant : " Canailles, vous n’êtes pas seuls, il existe d’autres individus, fût-ce à six cent kilomètres, qui s’intéressent à votre situation ". Non pour des raisons personnelles... Dans ces villages, moi, contrairement à d’autres compagnons, je ne connais personne. Finalement cette lutte ne se déroulait pas au coin de ma rue, mais la question n’est pas là.

Simplement mon principe, et en général le principe des anarchistes et d’autres révolutionnaires, c’est le suivant : la liberté sociale est une et indivisible. Dès lors, au moment où la liberté est attaquée dans sa partie la plus infime, c’est comme si elle l’était dans sa totalité. Quand leurs libertés sont bafouées, c’est donc mes propres libertés qui sont bafouées. Leur guerre sera aussi la mienne, dans une région où le " peuple souverain " - c’est encore une expression employée par les politiciens de profession - ne veut pas ce que veulent l’Etat et le capital, c’est-à-dire les mines d’or de TVX Gold. D’ailleurs je savais, comme je l’ai déjà dit, que j’allais causer des dégâts. Oui, j’avais l’intention de faire des dégâts matériels. Mais quels dégâts ? À la vitrine du dépôt où j’ai placé mon engin ? J’étais conscient du peu de dommages que j’allais provoquer. Mais même s’ils avaient été plus graves, cela n’aurait pas changé grand chose pour moi.

Parce que la liberté ne se mesure pas avec les dégâts matériels d’une vitre, d’une voiture de l’Etat, ou d’une propriété de l’Etat. Pour moi le Ministère n’est pas une structure qui représente un bien commun, comme disent les accusations. Un bien étatique, oui, un bien social, non. Au fond, même si mon engin n’a pas explosé, moi, mon message je l’ai envoyé quand même. Naturellement j’ai été arrêté parce que j’ai commis l’erreur de laisser mes empreintes sur la bombe. Je réaffirme que, même si la bombe n’a pas explosé, mon message a été néanmoins entendu. Vous l’avez reçu, mais l’ont reçu également les habitants de Strymonikos. Ils disent que je suis l’un des leurs, même s’ils ne m’ont jamais rencontré. Il ne peut pas exister une chose plus belle. Naturellement, je le répète, je n’ai point à m’en repentir. Maintenant je ferai référence aux aspects techniques. Je suis un révolutionnaire social, et, à partir du moment où tu te définis ainsi, cela veut dire que tu agis pour le bien de la société. Sur la base de ce principe, donc, je n’aurais jamais fait du mal à des citoyens. J’aurais pu faire du mal à un policier. Ce sont eux que je considère comme mes ennemis. Vous aussi, vous êtes mes ennemis. C’est-à-dire que je fais ces différences. Je suis en train de faire une évidente différence de classe. D’un côté il y a les ennemis de classe, de l’autre côté il y a tous les autres. Cependant, dans ce cas spécifique, je n’avais aucune intention de faire du mal ni à monsieur le policier gardien du Ministère, ni à quiconque d’autre ; surtout pas à un civil. La méthode employée en général par les organisations ou les individus, lors d’actions de ce genre, c’est la suivante : on place la bombe devant la cible choisie et on téléphone à un journal. Moi, j’appelai le journal Eleutherotipia et je dis : " D’ici une demi heure une bombe va exploser au Ministère ", ainsi que l’indique le dossier ; " Une bombe explosera au Ministère du Développement pour la question de TVX et de Strymonikos ". Ainsi, comme il fut démontré pratiquement, la police arriva sur place ; elle bloqua une zone de deux mille mètres carrés - comme l’affirme l’artificier - interdisant l’accès aux piétons comme aux voitures ; elle attendit l’explosion de la bombe. Comme ces mêmes messieurs l’ont déclaré, ils attendaient que le délai de sécurité expire, c’est-à-dire la demi heure que j’avais moi-même établie ! Soit qu’elle eusse explosé, soit qu’elle n’eusse pas explosé, il n’y aurait eu aucun danger pour la vie humaine. Si elle avait explosé, il n’y aurait eu que des dégâts matériels. Telle était mon intention. Il n’y avait aucune possibilité d’erreur, même si elle avait explosé avant. Comme le message était politique et symbolique, je n’avais aucune intention de provoquer beaucoup de dégâts matériels ; c’est pourquoi j’ai employé une petite quantité d’explosif. Même si j’avais eu la possibilité d’employer cinq, sept ou dix kilos d’explosif, je ne l’aurai pas fait. Tout cela est démontré par le fait que l’on a trouvé pas mal de choses chez moi, et que j’avais donc la possibilité de causer beaucoup de dégâts, toujours matériels. Je ne l’ai pas fait. Si j’avais pu détruire entièrement le Ministère sans faire de victimes, je n’aurais pas eu la moindre hésitation. La seule chose que je regrette, je le répète, c’est d’avoir commis une erreur technique. Maintenant je veux dire autre chose. Cette action je l’ai accomplie seul, personne d’autre n’était avec moi. Certes, le message revendicatif était signé " Guérilleros urbains anarchistes ", mais cela ne signifie pas qu’il y eût d’autres personnes à part moi. C’était une phrase qui indiquait seulement le milieu d’où je venais. Naturellement, je n’aurais pas signé " Nikos Maziotis ", tout comme je n’aurais pas dit au journal que c’était moi qui avais mis la bombe là-bas. J’aurais pu dire " Anarchistes ", par exemple. Que cela soit clair, j’ai pris tout seul l’initiative de l’action. Il n’y avait ni groupe, ni organisation, ni rien de rien. Rien ne démontre l’existence d’une organisation, ou le fait que j’aurais fourni tel groupe ou telle organisation. J’étais tout seul et le matériel était uniquement le mien.

Maintenant je veux parler d’une façon plus large du concept de solidarité, des mes motivations, du sens de cette solidarité. Je crois que les hommes se sont associés, que la société a été créée sur trois bases : la solidarité, la réciprocité, le mutualisme. C’est donc sur ces trois bases que se fonde la liberté humaine. Quand tu touches à une partie de la liberté humaine, c’est comme si tu touchais à sa totalité.

Le fait qu’un groupe social, dans un temps et dans un endroit différents, entreprenne une lutte - que ce soit des étudiants, des agriculteurs, des communautés locales ou des travailleurs - relève d’une importance énorme pour moi et pour les anarchistes en général. Et cela n’a rien à voir avec le fait que mes intérêts coïncident ou pas avec ceux du groupe en question. Si quelqu’un réclame une augmentation de salaire, s’il a des revendications corporatives, peu m’importe. Pour moi, solidarité signifie pleine acceptation et soutien, par tous les moyens, du droit que les hommes doivent avoir de pouvoir déterminer leur vie comme ils veulent, sans que d’autres, tels l’Etat et le capital, décident à leur place.

Dans ce cas précis, c’est-à-dire dans la lutte de Strymonikos, mais aussi dans toute autre lutte sociale, ce qui compte le plus pour moi, c’est que les hommes veulent prendre leur destin en main et n’acceptent pas qu’un quelconque chef de police, fonctionnaire ou capitaliste décide de leur vie. Ce qui compte, c’est qu’ils ne veulent pas l’usine, parce qu’ils n’aiment pas ce qu’on leur impose par la violence.

En ce qui concerne la question de la violence politique, dès le début on a essayé de présenter cette histoire comme une affaire de " criminels répugnants ", de " terroristes qui posent des bombes à l’aveuglette ", alors que ce n’est pas vrai du tout.

Si, au niveau théorique, le terrorisme, c’est la violence contre des citoyens et contre une population civile, alors cela vaut exclusivement pour l’Etat. L’Etat seulement attaque les citoyens, ce qui explique les mécanismes répressifs, les CRS, les EKAM, l’armée, les forces spéciales ; des mécanisme qui, de plus, volent le peuple en le taxant pour financer des professionnels armés, des policiers. Ceux-ci ne s’entraînent-ils pas à tirer sur des cibles ? Pourquoi ont-ils des armes, sinon pour les utiliser ? Les CRS ne sont-ils pas équipés de gaz chimiques ? Pour les lancer où ? Contre les citoyens lors de manifestation ou de rassemblement. De fait, seul l’Etat use de la violence contre les citoyens. Moi, je n’ai usé d’aucune violence contre un citoyen.

Je dirai précisément ce que signifie terrorisme. Le terrorisme, c’est lorsque les manifestations, les occupations, les grèves sont réprimées. Lorsque les CRS ont matraqué les retraités, il y a quatre ou cinq ans, devant le palais présidentiel. Lorsque le policier Melistas a tué Kaltezas. Lorsque Koumis et Kanelopoulou ont été assassinés par les CRS, le 16 novembre 81, pendant la manifestation à l’Ecole Polytechnique. Si je me souviens bien, ils n’ont pas été tués par des balles, mais suite à un tabassage. Le terrorisme, c’est lorsque Christos Kassimis a été tué. Je vais en parler de manière détaillée. En 1977, un groupe de révolutionnaires avait essayé de brûler l’usine A.E.G. à Agios Ioannis Rentis. C’était un acte de solidarité. A cette époque-là, des guérilleros de la R.A.F. avaient été tués dans les cellules blanches de Stammhein, à Stuttgart, en Allemagne de l’Ouest.

Les cellules blanches à elles seules sont du terrorisme. Les prisons sont du terrorisme. Voilà les motivations de l’action solidaire contre A.E.G. Dans cette tentative, qui a échoué, Christos Kassimis a été tué par deux policiers gardiens de l’usine. De plus, d’après ce que j’ai pu lire, il a été abattu de sang froid, une balle dans le dos. Le terrorisme, c’est lorsque des forces spéciales de la police envahissent la faculté de chimie, en 95, en frappant les anarchistes et les jeunes. Le terrorisme, c’est lorsque Temponeras est assassiné à Patras. Terrorisme, c’est lorsque Christos Tsoutsouvis est tué en 85. Mais cette histoire aussi a quelque chose de particulier que je veux souligner. A Christos Tsoutsouvis nous pouvons appliquer la phrase de Thucydide (si vous le connaissez, c’est l’historien de l’Antiquité qui a raconté l’histoire de la guerre du Péloponnèse) : " La mort dans la bataille est un titre d’honneur accompagnée par l’acclamation des citoyens ".

Tsoutsouvis a été tué par des policiers, mais non sans qu’il en emporte deux ou trois avec lui. Pour moi, il était un combattant. Je crois que la société en a besoin d’autres. Le terrorisme, c’est lorsque les citoyens sont tués pendant de simples contrôles d’identité. A ce propos aussi je vais citer quelques exemples. Christos Moratis, un gitan, a été tué dans un barrage de police de la route, en octobre 96, à Livadia. Un citoyen sans armes... Cela est un crime. Mais la justice, qu’a-t-elle fait ? Tout simplement, elle a félicité le policier. Le terrorisme, c’est lorsqu’ils arrêtent Pomaque Ali Yioumphrase pour ivresse et qu’il est trouvé mort dans le commissariat de police. Ils prétendirent qu’il était mort d’un arrêt cardiaque. Quand, en janvier 91, un réfugié politique turque, Souleiman Akiare, fut tabassé à mort, le ministre de l’ordre publique de l’époque invoqua là aussi un problème cardiaque. Selon le rapport du médecin légiste, pourtant, il était couvert de bleus. Le terrorisme, c’est aussi ce même tribunal. Tout procès contre un militant ou un révolutionnaire, c’est du terrorisme, un message d’intimidation adressé à la société. Je l’ai dit hier dans ma déclaration, quand vous m’avez demandé si j’acceptais les accusations. Je le répéterai. Ce procès étant politique, son message doit être clair : quiconque lutte contre l’Etat et le capital sera criminalisé, sera baptisé " terroriste ". Pour toute solidarité avec les luttes sociales, un sort identique : elle sera criminalisée et écrasée. Voilà le message de ce procès, voilà son terrorisme. Terrorisme envers moi, terrorisme envers les anarchistes, terrorisme envers les habitants de Strymonikos (un message identique lie mon procès à celui qu’ils sont en train de subir suite à leur mobilisation). C’est ça le terrorisme, certainement pas mon acte de solidarité qui n’a blessé aucun citoyen.

Bien souvent, lors des actes de ce type, par exemple lors d’explosions de petites bonbonnes de gaz, les médias répètent, parfois avec plus de zèle que la police, leur mensonge : " ... peu s’en est fallu que nous ayons des victimes ", et ainsi de suite. Mais en vérité une telle chose n’est jamais arrivée. Bien sûr, tout cela vise à donner des fausses impressions, à renforcer le consensus social autour de la répression ; à me condamner, par exemple, à une lourde peine. " Nous avons trouvé quelqu’un qui a commis la faute de laisser son empreinte digitale et nous l’avons arrêté. A-t-il revendiqué son acte ? Eh bien, on va lui en faire voir maintenant ! ".

Passons maintenant à la lutte de Strymonikos. Bien que je ne sois jamais allé là-bas, je vous relate quelques faits historiques. Les mines que la multinationale TVX Gold acheta existent depuis 1927 ; Bodossakis en était le propriétaire. Dans ces mines, où d’innombrables accidents de travail eurent lieu, plusieurs mineurs furent atteints de silicose, une grève sanglante éclata en 77. Les revendications des mineurs concernaient le salaire, les soins médicaux, les mesures de sécurité dans les galeries. À cette époque-là, des blindés de la police furent envoyés dans la région, des nombreuses arrestations et condamnations s’en suivirent, le terrorisme de la loi martiale fut imposé dans la région. Tout comme aujourd’hui. À un certain moment, cette compagnie fut déclarée " à risque ", comme d’ailleurs tant d’autres. À la fin des années 80, l’Etat - à travers la Société Minière de Développement Industriel (METVA) - planifia l’installation d’une usine de traitement de l’or. En 92, la compagnie passa sous contrôle de l’Etat, et en décembre 95 ce dernier vendit finalement les mines à TVX Gold. Les habitants de Strymonikos ne voulaient pas de cette installation. Soixante dix ans d’activité minière causèrent de graves problèmes environnementaux. Cette lutte a une importance immense, cela a été largement prouvé. Les intérêts en jeu sont internationaux.

Les mobilisations commencèrent au début de 96. Les habitants bloquèrent la route nationale Thessalonique-Kavala, ils dressèrent des postes de garde d’où ils surveillaient l’entrée des installations minières afin d’empêcher le passage des véhicules de l’entreprise et le commencement des travaux de forage. Avec ces pratiques, les habitants déclarèrent : " Nous sommes ici. Vous ne passerez pas ! " De cette façon, ils obligèrent la compagnie à suspendre provisoirement ses activités. Le 21 octobre 96, TVX Gold envoya un ultimatum à l’Etat grec et au Ministère du Développement disant : " Si les travaux ne commencent pas immédiatement, nous partons ". L’un des plus grands investissements du pays (soixante cinq milliards de drachmes) risquait ainsi de s’enfuir.

Quand les premiers accidents éclatèrent - le 17 octobre - et que les habitants furent parvenus à refouler les policiers de la région, le président de la Fédération des Industries Grecques (SEV), Iasson Stratos, déclara : " Ces accidents nuisent au prestige du pays à l’étranger " . Il avait raison, parce qu’ " il n’est pas possible que deux milles mufles " - c’est ainsi que les politiciens parlent du simple peuple -, " il n’est pas possible que deux milles personnes nous ruinent nos investissements, en empêchant qu’une compagnie étrangère puisse s’installer chez nous ; il faut mettre fin à cette réaction ".

Vous comprenez alors, cette lutte n’avait plus un caractère restreint et local. Elle avait des répercussions internationales parce qu’elle créait un précédent : " Si nous ne pouvons pas garantir un investissement étranger en Chalcidique, aucun autre ne sera possible. Si le peuple se révolte et n’accepte plus la volonté de l’Etat, l’économie est ruinée ". Un an plus tard, ils recommencèrent les travaux, afin de permettre l’extraction de l’or. En juillet 97, les habitants détruisirent un trépan de l’Institut de Recherches Géologiques et Minières (IGME) et se heurtèrent à la police. Au mois de novembre, ils se rassemblèrent et manifestèrent en direction des mines. Mais depuis le mois de septembre, si mes souvenirs sont exactes, l’Etat avait envoyé sur place des centaines des policiers de Thessalonique, prévoyant les vives réactions des gens. Des CRS d’Athènes, des EKAM, des véhicules blindés furent déployés dans la région (rien de tel ne s’était vu depuis 80). Toute une armée d’occupation fut installée en permanence. Malgré cette force répressive, l’Etat n’est pas venu à bout de la résistance. Le 9 novembre, il y eut des incidents (comme je l’ai dit tout à l’heure, des voitures de police, des cars des CRS furent détruits, un trépan de la compagnie brûlé, des coups furent tirés en l’air pour intimider les policiers).

Je le répète, c’est ce contexte qui a inspiré ma décision de placer la bombe au Ministère de l’Industrie et du Développement. La lutte avait déjà dépassé tout caractère local. Pour nous, les anarchistes, les luttes et la solidarité ne respectent pas les frontières. Pour mes compagnons et pour moi, les luttes qui se déroulent à l’étranger ont une importance immense. La guérilla des Zapatistes, qui continue au Chiapas depuis 94, est pour moi très importante. C’est une lutte de plus contre le néolibéralisme, une lutte qui se fait avec des armes, avec des masques... une véritable guerre. Il s’agit d’une violence politique à laquelle je ne suis certainement pas opposé. Je n’ai jamais déclaré être contre, n’étant pas ce qu’on appelle un bon citoyen. Le mouvement des sans terre au Brésil - des paysans pauvres qui occupent la terre des grands propriétaires pour la cultiver collectivement - a aussi pour moi une importance immense. Très important également, le mouvement des chômeurs en France pendant lequel il y eut de nombreuses occupations et des heurts avec les forces policières, l’hiver 97-98.

Une lutte tout aussi significative est celle qui se déroula en Turquie, lutte analogue à celle de Strymonikos. Une autre multinationale, Eurogold, voulu s’implanter à Pergamos, et plus précisément au village Ovantchik, si ma mémoire est bonne. Les paysans turcs, exactement comme les habitants de Strymonikos, ont empêché jusqu’à présent l’installation de l’usine métallurgique. Ils ont fait échouer l’investissement d’Eurogold, en bloquant la route Izmir-Istanbul, en s’affrontant avec la gendarmerie et l’armée. Remarquable coïncidence, quelqu’un aussi posa une bombe au bureau de la compagnie à Izmir, exactement comme moi. Alors, comme vous voyez, toutes ces pratiques sont partie intégrante des luttes sociales, partout. Nous sommes fiers de ces pratiques. En ce qui concerne l’usine de Pergamos, les médias grecs, le Ministère de l’Aménagement du Territoire, des Travaux Publics et de l’Environnement (YPEHODE) et le Ministère de l’Egée déclarèrent hypocritement que la construction de l’usine à Pergamos polluerait la mer Egée. Mais ils ne disaient pas la même chose pour la baie de Strymonikos. Ce qui vaut pas pour la Turquie, ne vaut pour la Grèce ! Ici apparaît clairement l’hypocrisie de l’Etat grec, des médias, des politiciens. Je ne crois pas qu’en réalité vous me jugiez pour " terrorisme ", ni pour ma prétendue " intention de nuire à des vies humaines ". Cela n’est qu’un prétexte. En réalité, vous me jugez pour tout ce que j’ai dit jusqu’à présent, pour ce que je suis. Parce que je suis anarchiste, pour mes convictions et mon passé. Parce que tous ses éléments sont pour vous des circonstances aggravantes : " Eh bien, puisque tu étais à l’occupation de l’ASOEE, puisque tu étais insoumis, puisque tu étais ça et là...". Selon vous, bien sûr, je n’ai pas une vie honnête, mais pour moi je suis un homme honnête. Naturellement, l’histoire des victimes que prétendument j’aurais pu faire n’est qu’un vil prétexte.

Au fond, l’Etat a prouvé qu’il ne se soucie pas des citoyens. Au contraire, quand il veut consolider sa domination, il supprime des vies humaines. Au fond, la seule chose que l’Etat veut, c’est garder le monopole de la violence (" moi seul, l’Etat, je peux supprimer des vies humaines "). Seuls les agents de l’Etat, les policiers, tant en uniforme qu’en civil, les CRS, les EKAM s’arrogent le droit d’assassiner. Qui que ce soit d’autre, est jugé comme criminel. L’Etat, lui, est intouchable. Chaque fois que des citoyens sont tués, la justice accepte les allégations de la police. Non parce qu’elle les croit, mais pour des raisons d’intérêt. Elle accepte ceci : " la balle a accidentellement dévié de sa trajectoire ", " le coup du policier est accidentellement parti ", il " était en état de légitime défense ", accidentellement ceci et cela... tout un tas d’ " accidentellement " . Mais, en réalité, tous les exemples cités (et d’autres plus précis j’en ajouterai) sont des assassinats de sang froid. Très peu de policiers se sont trouvés au banc des accusés. Tous sont dehors, fiers. Fiers !

Un témoin de la défense a déjà parlé de l’affaire Panagoulis. C’est tout à fait vrai que l’attentat de Panagoulis contre le dictateur Papadopoulos, le peuple grec l’avait approuvé. C’était un attentat. Et alors, qui pouvait-il tuer ? Un dictateur !

Sur ce point, on pourrait facilement argumenter qu’à cette époque-là, c’était une dictature militaire, et qu’il était justifié d’utiliser la violence comme moyen de pression politique, tandis que maintenant nous avons une " démocratie parlementaire ", nous avons des " libertés " et des " droits " ! Je ne pense pas que ce soit comme ça... Après tout ce que j’ai dit, je ne pense pas qu’il y ait de droits. Sur le papier peut-être, mais en réalité, il n’en est rien. Je vais citer des exemples se situant après la chute de la dictature, la période de la prétendue démocratie - démocratie entre mille guillemets, à mon avis -, période pendant laquelle il y eut des assassinats pour réprimer les luttes sociales. Cela démontre que pour le peuple rien n’a changé après la fin du régime des colonels (1974). Les faits parlent d’eux-mêmes. Les premières émeutes, si je me souviens bien, se déroulèrent en juillet 75. À Athènes, en mai 76, les véhicules blindés de la police apparurent une fois de plus dans les rues. Une loi anti-ouvrière et anti-grève, la loi 330, fut promulguée par Laskaris, ministre du Travail dans le gouvernement de droite de l’époque. Une grande manifestation ouvrière s’ensuivit le 25 mai 76. Il y eut des affrontements, une attaque contre les locaux du journal Vradyni, des feux, des cocktails Molotov... Un véhicule blindé de la police, en poursuivant des manifestants, tua une femme de 67 ans, Anastassia Tsivika. Aucun policier ne s’est trouvé au banc des accusés. Dans d’autres cas, des projets de loi sont votés sans que personne ne soit consulté. Par exemple, en 90, l’accord pour les bases militaires américaines fut renouvelé. Le peuple de Hania, en Crète, ne l’a pas accepté. En juin 90, il y eut une manifestation ; les manifestants, frappés par les CRS, réagirent en attaquant la police et en brûlant la préfecture d’Hania.

En 1991, si mes souvenirs sont exacts, les agriculteurs du département d’Hêraklion, toujours en Crète, ont brûlé la préfecture. Comme vous pouvez le constater, la violence politique est exercée par tous. Par toute la société, par toutes ses composantes et toutes les classes. Par tous ceux à qui l’Etat porte atteinte. Ce que l’Etat recherche, c’est de réprimer chaque individu de manière isolée. Vous connaissez bien sûr cette expression que le premier ministre, Simitis, utilise chaque fois que des luttes sociales éclatent : " l’automatisme social ". Et cela afin de dénigrer ces mobilisations - les barrages des routes, les occupations, et tous ces actes - comme si elles s’opposaient aux intérêts du reste de la société, qui selon vos dires réagit automatiquement contre elles. Ce qui n’est pas vrai. Il s’agit simplement de la tactique " diviser pour régner ", c’est-à-dire semer la discorde pour étouffer la solidarité. Car la solidarité a une importance immense. Chacun est réprimé plus aisément quand il est isolé. Quand il y a une grève et qu’il n’y a pas de solidarité, elle est plus rapidement brisée. Le pouvoir parle toujours d’une " minorité ". L’argument de l’Etat est le suivant : " c’est une minorité corporatiste avec des intérêts rétrogrades qui sont axés contre la modernisation, le développement, les réformes " et toutes ces conneries. Et alors ! Il n’y a pas de groupe qui ne soit entré en conflit avec l’Etat, surtout pendant les années 90, qui n’ait pas été réprimé de manière isolée et qui n’ait pas été confronté aux arguments : " vous êtes une minorité ", " votre lutte s’oppose aux intérêts du reste de la société ". Dans tous les cas, c’est ce qui se déroula avec les travailleurs des entreprises " à risque " qui occupèrent leurs lieux de travail en 1990-91. Avec les élèves qui firent des occupations en 1990-91 et plus récemment en 1998-99. Avec les employés de l’EAS en 1992. Avec les barrages sur les routes nationales des agriculteurs en 1995 et en 1996. Avec les mobilisations de profs précaires qui luttèrent contre la suppression de la liste prioritaire dans les embauches et contre les examens du Conseil Suprême de Choix de Personnel (ASEP). Et naturellement, avec les habitants de Strymonikos. Au fond ce qui est visé, c’est la solidarité. Et c’est ce qui est visé aussi, ouvertement, dans mon procès. Pour l’Etat la répression est chose plus aisée lorsqu’elle s’abat sur des individus isolés. Bien sûr, la violence policière ne peut suffire pour la répression. Finalement, j’ai abouti à cette conclusion - pour revenir à mon propos - que la différence entre dictature et démocratie parlementaire (ou plutôt devrais-je dire oligarchie capitaliste), c’est que la dictature militaire s’impose par le biais d’une violence non dissimulée, tandis que la " démocratie " s’impose plutôt à travers le contrôle mental des citoyens, grâce à l’arme des médias, grâce au mensonge. Car je ne pense pas que le peuple, en élisant ses maîtres tous les quatre ans, soit libre. Il les élit, mais quand ils ne tiennent pas leurs promesses, il ne peut pas se débarrasser d’eux. Dans l’Athènes de l’Antiquité, ce n’était pas comme ça. Chacun pouvait parler dans l’agora, chacun exprimait ses idées, qu’elle que fût sa position sociale. Et à tout moment, quiconque occupait une fonction publique, pouvait être révoqué.

Mais la démocratie a prouvé également qu’elle n’a aucun problème, lorsque le mensonge et le contrôle mental ne suffisent plus, à utiliser aussi la violence policière, à tuer, à torturer et à terroriser. Finalement je ne suis jugé ni parce que j’ai placé une bombe, ni parce que je possédais trois armes et dix kilos de dynamite. Au fond, l’armée et la police ont beaucoup plus d’armes que moi et elles les utilisent. Il n’y a pas de comparaison. Je n’ai rien d’autre à dire, si ce n’est que je n’ai aucun regret, quelle que soit la peine que vous m’infligerez - et vous le ferez. Je demeure ce que je suis. Je peux même dire que la prison est une école pour le révolutionnaire. Son endurance, ses idées sont mises à rude épreuve. Et s’il résiste à cette épreuve, il devient plus fort et sûr de la justesse de la cause pour laquelle il a été emprisonné. Je n’ai rien d’autre à dire.

Tribunal d’Athènes, le 7 juillet 1999


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