A l’heure actuelle, les Kurdes constituent, aussi bien sur le plan régional qu’au niveau mondial, la plus grande nation sans Etat, dont le pays se trouve partagé entre plusieurs Etats de la région - tous de nature tyrannique et totalitaire, qui ne répondent aux revendications démocratiques et légitimes des Kurdes que par la violence et la répression. Dans ce domaine, malheureusement, l’histoire de notre peuple est remplie de tragédies, de massacres et d’atrocités.
Vu le partage du Kurdistan contre la volonté du peuple kurde, vu l’oppression et les barbaries dont il a été et est encore victime, et enfin, vu le droit des peuples à l’autodétermination (dont l’indépendance constitue l’expression ultime) reconnu par la communauté internationale, on pourrait au premier regard avancer l’idée de l’établissement d’un Etat indépendant kurde dans chaque partie du Kurdistan, ou bien de la réunification de toutes les parties du Kurdistan, sous l’autorité d’un seul Etat kurde indépendant, comme l’unique solution au problème. Mais un ensemble d’importants d’obstacles d’ordre interne, régional et international empêche les Kurdes d’y accéder.
Les obstacles d’ordre interne et régional :
Primo, les Etats sous la domination desquels se trouvent les Kurdes sont aujourd’hui comme par le passé des Etats totalement étrangers aux critères démocratiques, au respect des droits de l’homme, des droits des peuples et de ceux des minorités. Dans ces pays, toute aspiration des peuples opprimés, y compris le peuple kurde, est réprimée sans merci dans le sang, sous divers prétextes, notamment celui de combattre le séparatisme. Depuis l’avènement de la République islamique, un prétexte supplémentaire est utilisé pour justifier la répression dont est victime le peuple kurde en Iran. C’est l’imam Khomeiny en personne qui, qualifiant les Kurdes d’Iran globalement d’"enfants de Satan" et les dirigeants du mouvement kurde d’"ennemis de Dieu", a proclamé le 19 août 1979 le Djihad (guerre sainte) contre la population kurde d’Iran. C’est ainsi que les nouvelles autorités iraniennes se sont livrées sans vergogne au Kurdistan à des massacres impitoyables, à des destructions de villages kurdes, à des actes terroristes contre les dirigeants de notre Parti et contre ceux d’autres forces de l’opposition iranienne.
En outre, ces Etats s’opposent obstinément à toute possibilité de résoudre le problème par le dialogue et d’une manière pacifique, ne laissant aux Kurdes d’autres moyens que celui du recours à la résistance armée pour se défendre. Dans ce domaine, la supériorité militaire, économique et technique de ces Etats a fait que depuis près d’un siècle, malgré la bravoure et les sacrifices héroïques des combattants kurdes, l’avantage est resté aux forces gouvernementales.
Il existe un autre obstacle d’ordre interne et régional jouant en défaveur des Kurdes : ce sont les tensions, les désaccords et les divisions régnant entre les forces kurdes, aboutissant le plus souvent à des affrontements sanglants et de longue durée, portant des coups sérieux à leurs mouvements de libération. Ces affrontements qui sont la plupart du temps le résultat de machinations et de manipulations des Etats de la région, atteignent parfois un point tel que les forces kurdes oublient leur lutte contre les Etats qui les dominent et consacrent leur énergie et tous leurs efforts au combat contre la partie adverse kurde. Ces guerres inter-kurdes leur ont parfois fait perdre de grandes occasions.
Secundo, les obstacles d’ordre externe : la situation géopolitique du Kurdistan et la place sensible qu’il occupe au Moyen-Orient (lui-même constituant une des régions les plus sensibles du monde) ont fait que le sort du peuple kurde a été, dans le passé, une sorte de jouet entre l’ex-Union soviétique et les pays occidentaux. Aujourd’hui, à la poursuite de leurs seuls intérêts mercantiles, les pays occidentaux mènent le même jeu vis-à-vis des Kurdes. Cette politique occidentale ne s’arrête pas là : avec les moyens techniques et militaires très destructeurs qu’ils fournissent aux Etats, ces pays participent indirectement à la répression barbare dont est victime le peuple kurde.
A l’heure actuelle, les pays occidentaux, notamment les Etats-Unis, soutiennent les revendications des Kurdes irakiens qui, forts de ce soutien, réclament le fédéralisme au lieu de l’autonomie reconnue par la Constitution irakienne. En ce qui concerne le Kurdistan de Turquie, depuis l’arrestation de M. Öcalan, président du Parti des Travailleurs du Kurdistan, les Etats-Unis et les pays européens font apparemment pression sur la Turquie afin que celle-ci résolve le problème kurde par des moyens pacifiques. Mais jusqu’à présent, dans la pratique, rien de concret n’a encore été fait. Pour ce qui est du Kurdistan d’Iran qui, après le Kurdistan de Turquie abrite le plus grand nombre de Kurdes, les Etats-Unis ont opté pour une politique de silence : même pas un mot sur les droits de près de dix millions de Kurdes dans ce pays ! Les Etats européens ne font pas mieux : occupés par leurs rivalités économiques dans ce pays et par les profits énormes qu’ils tirent du marché iranien, ils mènent eux aussi une politique de silence sur les droits des Kurdes en Iran et ferment les yeux sur la répression. Peut-être l’une des raisons de ce silence sur les Kurdes en Iran vient de ce que nous, les Kurdes d’Iran, nous sommes pour une solution pacifique du problème, refusant de recourir à des actes aventuriers comme la pratique du terrorisme, la pose de bombes et le détournement d’avions.
Il semble que la solution la plus convenable serait le règlement du problème kurde dans le cadre de chaque pays où vivent les Kurdes, sous forme de fédéralisme ou d’autonomie. Ces systèmes de règlement sont les solutions les mieux adaptées à un pays multinational comme l’Iran où vivent ensemble plusieurs peuples, chacun possédant sa propre langue et sa propre culture.
(...) Contrairement aux prétentions des gouvernements qui dominent le peuple kurde, l’instauration de tels systèmes non seulement n’entamera pas l’intégrité territoriale de ces pays, mais aboutira également à l’union bénévole et à la consolidation de la fraternité entre les peuples des pays.
Compte tenu de tous ces facteurs, le P.D.K.I., qui dirige le mouvement kurde en Iran depuis le premier jour de sa fondation, mène le combat pour la réalisation des revendications du peuple kurde en Iran sous la forme d’une autonomie régionale dans un Etat iranien démocratique. L’autonomie est une revendication réaliste et modeste. Par ailleurs, l’autonomie pour la population kurde d’Iran a également un aspect historique et affectif. Il y a 54 ans, le peuple kurde en Iran a réussi, sous la présidence de l’éminente personnalité kurde, le regretté Qasi Mohammad, à fonder une République autonome sur une partie de son territoire. Bien que cette République n’ait duré que 11 mois et que l’armée du Shah ait mis fin à cette glorieuse période de l’histoire de notre peuple, et que ses dirigeants, y compris le président de la République, aient été exécutés, le souvenir de cette République et de ses acquis reste à jamais gravé dans la mémoire collective de notre peuple au Kurdistan d’Iran.
Pour atteindre cet objectif, le P.D.K.I. a choisi la lutte politique et pacifique. Avec l’arrivée de la République islamique, le P.D.K.I., en coordination avec les autres forces de l’opposition présentes alors au Kurdistan iranien et sous le nom de délégation du peuple kurde, et par la suite de son propre chef, a mené à plusieurs reprises des négociations avec la délégation gouvernementale à Mahabad ou avec des hauts responsables du régime, y compris l’inmam Khomeiny, à Téhéran même, afin de trouver une issue pacifique à la question kurde en Iran. Malheureusement, sous prétexte de négociations et abusant de notre bonne volonté, le régime iranien n’avait en vérité qu’un seul objectif : gagner du temps pour réorganiser ses armées en piteux état, pour reprendre de plus belle ses attaques de grande envergure contre la population kurde. Pour défendre la population civile kurde sans défense, ainsi que nos membres et sympathisants, nous avons été amenés à organiser la résistance. Nous sommes restés fidèles à nos principes et à notre position initiale consistant à vouloir résoudre le problème kurde en Iran par le dialogue et d’une manière pacifique. Nos efforts pacifistes ont eu pour résultat l’assassinat de l’éminent dirigeant kurde, le regretté Dr. Abdul Rahman Ghassemlou, le 13 juillet 1989 à Vienne, à la table des négociations par les diplomates terroristes du régime islamique d’Iran. Deux ans plus tard, son successeur, le Dr. Sadegh Charafkandi, a été assassiné à son tour le 17 septembre 1992 à Berlin par les terroristes du régime commandités par les plus hauts dirigeants de l’Etat iranien.
En 1997, M. Khatami a été élu à la présidence de la République islamique grâce au soutien massif de la population iranienne. Lors de sa campagne présidentielle, M. Khatami s’était exprimé en termes généraux sur les droits des Kurdes, mais trois ans se sont écoulés depuis ; non seulement il a oublié tous ses propos concernant les Kurdes et les autres peuples opprimés du pays, non seulement il n’a rien fait de concret, mais il n’a même pas osé dire un mot sur ce sujet. Bien que Khatami et ses amis connus sous le nom de réformateurs aient engagé un combat contre les conservateurs et pratiqué une relative ouverture dans le domaine de la liberté de la presse, quand il s’agit des revendications de la population kurde, ils ne lésinent pas sur les moyens de répression.
(...) Au cours des manifestations de la population kurde dans les villes du Kurdistan d’Iran au mois de février 1999 pour protester contre l’arrestation de M. Öcalan, avec l’autorisation des autorités iraniennes, des dizaines de kurdes ont été tués et des centaines d’autres blessés ou arrêtés, parce qu’ils avaient également osé scander des slogans favorables aux revendications du peuple kurde au Kurdistan d’Iran.
(...) Un autre slogan lancé ces derniers jours par M. Khatami est : "L’Iran à tous les Iraniens !". Dans le sens général du terme, ce slogan peut avoir une portée politique de grande envergure. Mais M. Khatami veut le réaliser dans le cadre de la Constitution actuelle - et dans le cadre de cette dernière, non seulement l’Iran n’appartient pas à tous les Iraniens, mais pas davantage à tous les Iraniens d’obédience chiite. L’Iran appartient aux seuls chiites iraniens qui approuvent le dogme du Royaume du Docte, autrement dit la prééminence du Guide Suprême (Velayat-e-Faghih).
Comment une Constitution, qui n’est qu’un recueil de contradictions, de discriminations, de partage de la population du pays en citoyens de premier et de deuxième ordre, peut-elle rendre possible l’appartenance de l’Iran à tous les Iraniens ? Quelle est la place des laïques qui constituent un nombre non négligeable dans la société iranienne, surtout parmi les couches intellectuelles ? Quelle est la solution pour associer ces Iraniens à l’administration du pays ? M. Khatami reste malheureusement bien silencieux sur toutes ces questions et n’a pas, jusqu’ici, apporté la moindre solution.
(...) Par ailleurs, M. Khatami et son entourage n’ont pas non plus pris clairement position sur les droits et libertés élémentaires, tels le choix vestimentaire, la flagellation, la loi du talion, etc. Nous pensons que dans ce domaine ainsi que dans celui des nationalités, les réformateurs doivent se prononcer sans ambiguïté.