Par Max CHAMKA à Mahabad
Le 22/08/2005
PJAK. Depuis plusieurs semaines, ce nom apparaît de façon récurrente dans les dépêches des agences de presse couvrant le Kurdistan iranien. Faisant quasiment de l’entité qu’il représente -le « Parti pour une Vie Libre au Kurdistan »- une réalité manifeste et explicite. Que se cache derrière cette évanescente ramification armée présentée comme une nouvelle force vive de la résistance kurde d’Iran ?
« Etes-vous lié, de près ou de loin, à la mouvance du PJAK ? » - « Oui », confirme notre interlocuteur, un étudiant et jeune activiste de Mahabad qui a requis l’anonymat. La rapidité et spontanéité de la réponse tranchent avec la méfiance d’usage lors de ce genre d’entretien. Toujours est-il que le jeune guérillero saisit au vol l’occasion de communiquer autour de son organisation.
Le PJAK caracole déjà en tête dans les dépêches et articles de presse tombés ces derniers jours sur l’actualité du Kurdistan iranien. Mais aussi dans les déclarations accusatrices de Téhéran à l’encontre d’une structure jugée terroriste. Le PJAK pourrait rechercher à « redorer » rapidement son blason. Qui mieux qu’un partisan pourrait en parler ?
Guérilla sous surveillance iranienne
« Il y a quelques années, des Kurdes d’Iran sont partis prendre les armes aux côtés du PKK », enchaîne le jeune homme. « Aujourd’hui, le combat se déroule ici, en Iran. Les hommes du PJAK, qui luttent pour la ’’Résurrection du Kurdistan libre’’, sont des Kurdes de la région. Ils se cachent dans les montagnes alentour. » Les combattants s’armeraient en Irak. Les trafics d’armes transitent sans conteste par Sardasth, plus rarement par Baneh ou Marivan. Ils sont ensuite dirigés vers Mahabad, et parfois vers d’autres villes d’Iran.
Notre interlocuteur préfère taire les noms des responsables locaux du PJAK. Inutile d’alimenter ouvertement la traque menée par Téhéran, ni même d’attiser le regain de tension de ces derniers jours entre forces de l’ordre et résistants. Car la région vient à peine de sortir du tourbillon des échauffourées de juillet dernier.
Les zones kurdes de l’ouest iranien, correspondant aux provinces du Kurdistan et de l’Azerbaïdjan occidental, ont été le théâtre de troubles suite à la mort de Shavaneh Qaderi, abattu début juillet lors de son arrestation.
Manifestations, affrontements et arrestations musclées ont alors secoué la région. Les militaires iraniens ont conduit diverses opérations contre les guérilleros du PJAK dans la région de Merivan. Le 26 juillet, quatre soldats iraniens ont été tuées près d’Oshnaviyeh, à la frontière irakienne, lors d’une attaque imputée par les autorités iraniennes au PJAK.
Plus récemment, le 15 août dernier, le chef de la police iranienne, le général Esmail Ahmadi-Moghaddam, a annoncé que quatre policiers ont été pris en otages en Azerbaïdjan occidental par des rebelles du PJAK.
Iran-Irak-Turquie, les clivages du triangle d’or de la résistance kurde
Divisée, ramifiée, désunie. Manipulée aussi. La résistance kurde est mise à mal par des luttes internes bien souvent utilisées par les gouvernements nationaux comme levier à leur combat contre le « terrorisme » kurde. Téhéran aurait récemment fait du pied à l’Union patriotique du Kurdistan (PUK), menée par le président irakien Jalal Talabani, pour intervenir à ses côtés et étouffer la guérilla du PJAK. En clair, nourrir les clivages déjà existants au sein de la résistance kurde transfrontalière, et par là même, l’affaiblir.
Le PJAK est décrit par certains comme lié au courant modéré et libéral de la résistance kurde. Mais il serait avant tout rattaché au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), résistance kurde de Turquie inscrite sur la liste des organisations terroristes par Bruxelles et Washington. Pour preuve, un des anciens leaders du PJAK n’est autre que Shapour Badoshiveh, Kurde iranien et ancien citoyen canadien disparu en 2004, en charge du Kurdistan oriental au sein du PKK.
Véritablement sur le devant de la scène depuis 2005, le PJAK a tenu son premier congrès le 25 mars 2004 après avoir évolué sous diverses structures. Cette branche du PKK demeure méconnue et ses contours encore mal définis. Au tableau des hypothèses corroborées par divers témoignages recueillis à Mahabad : le PJAK serait basé en Turquie, bien que son leader soit kurde iranien.
Un parti, cinq ramifications
A la tête du PJAK, Abdull-Rahman Haci Ahmedi a profité d’une visite officielle en Norvège en juin dernier, pour accorder un entretien à la Maison des droits de l’homme à Oslo. L’occasion de livrer publiquement ses craintes sur l’Iran des mollahs et d’affirmer la ligne politique de son parti. « Le PJAK prend ses distances avec toutes les formes existantes du nationalisme kurde classique, persuadé qu’il vaut mieux préférer la co-existence pacifique et la coopération pour parvenir à une véritable démocratie pluri-ethnique plus que de diviser et de créer de petits Etats. »
Cette mouvance de la résistance kurde fédère cinq bras politiques et armés : l’Union des Femmes du Kurdistan oriental (YJKR), l’Union pour la Jeunesse du Kurdistan oriental (YCR), l’Union pour une presse démocratique (YRD), des cercles politiques et des forces militaires dites d’auto-défense.
Depuis la tenue de son congrès fondateur, le bras armé du PJAK revendique plus de 80 opérations militaires au Kurdistan iranien, et une trentaine d’affrontements directs avec les forces de l’ordre du régime islamique.
Hypothétique PJAK
Retour à Mahabad. Notre interlocuteur, bien que signalant être mal averti, parle d’une création remontant à l’époque de la république de Mahabad et au charisme de son président Qazi Mohammad, érigé en véritable héros par le peuple kurde. Mythe collectif ou réalité politique ? Pour l’heure, ce volet reste abscon.
La structure aurait ensuite évolué au sein des courants politiques locaux, avant de disparaître du devant de la scène. Scénario plausible, quoique incertain. Un seul énoncé fiable : le bras armé du PJAK mène la lutte au nom d’un Kurdistan libre. Et se dit « en guerre contre le gouvernement iranien ».
Assis depuis le début de l’entretien aux côtés de notre interlocuteur, un jeune Kurde confesse ne pas croire au PJAK. « Je n’irai pas grossir les rangs du PJAK. A quoi bon. Je ne porte déjà plus l’habit traditionnel, pourquoi prendre les armes ? Le gouvernement iranien nous a irrémédiablement changé. Ma génération a été conditionnée par le chômage et n’a ni le temps ni l’envie de débattre de politique quand il faut d’abord penser à trouver un emploi. Téhéran sait parfaitement que toute mentalité n’est pas inflexible. »
Aveu de faillite, mais lucide. Tout cela, les combattants du PJAK le savent très bien.