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Lettre de Jean Marc Rouillan (Septembre 2003)

Je suis d’un autre pays que le vôtre... enfin, pas tout à fait ou presque... ce presque rien qui change tout. A peine si l’on se souvient d’où l’on vient, de ses propres souvenirs, de ses espérances... Finalement, il nous reste si peu de choses du dehors. Depuis des années, avec quelques-uns d’entre vous, nous partageons ce coin de ciel provençal... 180° d’azur... Et si l’on regarde bien en se hissant sur la pointe des pieds, on distingue la cime des arbres... et une enseigne Citroën. De vos maisons, on ne devine pas une tuile... rien. Maintenant, on ne croit savoir de vous que ce que pourrait traduire un extraterrestre s’il captait vos ondes hertziennes. C’est-à-dire pas grand-chose. Ou le seul brouhaha de la propagande, de la légitimation commune et publicitaire. Du bruit en boucle que l’on perçoit derrière le mur quelquefois... De loin, vous paraissez répéter sans cesse les mêmes maximes, les mêmes sentences avec des tics comme des messages matraqués... Entre vous et nous, la ligne de partage est une arête de ciment à huit mètres du sol. Avant d’y arriver il nous faut franchir, sous la menace du mirador et de l’¦il borgne de son fusil, le no man’s land balayé par les capteurs infrarouges et les caméras. Ici pas de passeport, le visa « les pieds devant » est la norme. Voici quelques semaines, un voleur sarde ayant osé grimper, a été abattu d’une balle dans le dos... et une seconde dans la nuque, pour être vraiment sûr qu’il crèverait de cette crise aiguë de saturnisme... Eh oui ! Bien que l’on soit si proche de Tarascon, ici les Tartarins ne tirent plus sur les casquettes...

Je sors de cellule et glisse ma carte magnétique dans l’appareil près de la grille. Prochainement, ils me feront apposer la main sur l’appareil « de reconnaissance biométrique ». Ils sont déjà scellés près de la porte. Clignotant vert... Quelque part ma photo apparaît sur un écran de contrôle... Nom, prénom, numéro d’écrou, position... bâtiment A, premier étage gauche, cellule 114... Inoccupé... RCP (réclusion criminelle à perpétuité)... DPS (détenu à particulièrement surveiller)... Code 7... Un chiffre neutre pour signaler, à l’intention des personnels qui ne m’auraient pas reconnu, que je ne suis pas un « ordinaire ». La pénitentiaire pouvait signaler notre catégorie d’un « T » majuscule pour terroriste, un vocable dans l’air du temps, du tout et du n’importe quoi ambiant. Mais c’est une administration qui vit mal et lentement. Pour elle, la dernière guerre est si proche. Elle se méfie des revirements soudains... Alors comme il ne faut surtout pas employer le terme de prisonnier politique - idéologiquement intolérable dans nos sociétés post-modernes -, cette appellation codée marque l’étrangeté banalisée... Dépouillée de ses significations véritables... Aussi lessivée que des formules biochimiques comme : « rupture de stock », « licenciement administratif », « sécurisation des quartiers »... Et un chiffre de plus ou de moins, celui-là ou un autre... qu’importe. D’ailleurs en France, il n’y a plus de prisonniers politiques et cela depuis le décret de loi de François Mitterrand quelques mois après le début de son règne ! Cela ressemble au passage au communisme par décret du Kremlin... Le prince décrète qu’il n’y aura plus de conflit, plus de lutte des classes à partir de minuit GMT. La situation est standardisée. Ce qui n’entre pas dans le « politique » sans surprise du droite/gauche ou du gestionnaire/protestataire... est définitivement condamnable et condamné. Une condamnation bien sûr « unanime » parce que cette unanimité fait foi du message normalisé. Dans tous les pays occidentaux, la règle est identique. Et les journalistes, les commentateurs, les intellectuels psalmodient la catéchèse. « Il n’y a plus de prisonnier politique ! » Ou alors s’ils existent, c’est toujours loin d’ici, en Algérie, en Chine, à Cuba... Le prisonnier politique serait devenu en quelque sorte une espèce tropicale. Ou une pandémie en voie d’extinction comme la lèpre ou la peste clairement réservée à des régimes récalcitrants dans notre post-modernité sanitaire. Et désormais, il n’y aurait plus de rupture politique entre certains individus critiques et le système, mais de simples anomalies criminelles. La vraie politique serait définitivement concentrée et centralisée dans les décisions monopolisées et régie par les codes stricts de l’acceptable et de l’inacceptable. Mais en se présentant sans alternative politique, sans contestation véritable, les rapports de pouvoir et la règle du jeu ne dessinent que des relations apolitiques, ou faussement politiques. Ils disent très arbitrairement ce qui est politique... et ce qui ne l’est plus... C’est peut-être cela « la fin de l’histoire », cette façon de concevoir le régime démocratisé des métropoles comme l’aboutissement de la norme... l’aboutissement des rapports de force. La caméra me scrute des pieds à la tête... Rien dans les mains, rien dans les poches... La grille électrique se déclenche... En quelques secondes, le maton a jugé si je correspondais à ce que j’étais sensé être et s’il était normal ou plutôt acceptable que je passe. Dans le monde carcéral, qu’est ce qui est normal ? Enfin, de notre point de vue et non de celui du dehors qui se penche sur le carcéral, avec sa mentalité extérieure et formatée, en phase avec la traduction des messages codés de l’ordre. Ici, la norme circule dans nos veines comme le poison de la mort lente. La norme, c’est... Peut-être le rythme sinistre de l’élimination ? Un goutte-à-goutte ? En 2002, ici à Arles, six ou sept détenus sont passés de l’état de survie à celui de DCD. C’est énorme pour une centrale à effectif limité. Mais la norme veut aussi qu’on oublie vite. Combien étaient-ils vraiment... Leurs visages... Sont-il morts de mort naturelle... ordinaire ? Deux balles..., une maladie parfaitement curable dans votre Monde..., l’autodestruction... Hier matin, un docteur répliqua à un malade atteint du sida et inquiet à juste titre : Mais Monsieur Bougha, on peut très bien mourir dignement en prison... N’est pas Papon qui veut... Dès lors, la norme devient l’auto-reconnaissance : nous ne sommes pas grand-chose... réduits à une poignée de malfaiteurs et de terroristes... Une loterie de numéros... Une liste de condamnés à passer à la guillotine sèche... Mais parfois votre norme par-delà le mur nous amuse. Tel le raisonnement de cette JAP (juge d’application des peines) introduisant ses refus d’un « aux vues de vos mauvaises fréquentations ». Qui voudrait-elle donc que l’on fréquente dans une centrale de haute sécurité ? Mon voisin d’en face est un narcotrafiquant qui travaillait pour les barons colombiens. Mon voisin de gauche est un jeune braqueur cumulant les peines incompressibles. Mon voisin de droite, le plus proche, est un uniforme derrière une vitre blindée toujours prêt à assassiner d’une balle dans le dos quiconque dépasserait la ligne blanche près du grillage. Alors madame la Juge, quelle peut bien être la norme relationnelle avec mes voisins ? « Bonjour, bonsoir » pareil à la livide banalité du quotidien des cités dortoir ? Et les fous sont-ils fréquentables dans la norme carcérale ? L’humanisation des asiles psychiatriques du dehors veut que l’on hospitalise de moins en moins de malades. Et le bon citoyen s’est vite empressé de fermer les yeux sur les implications de cette hypocrisie. A notre époque, et sans que cela émeuve grand monde, le système élimine ses fous dans les maisons centrales. Certes, la phrase est choc, mais c’est la réalité. Je sais bien que dehors vous n’aimez pas qu’on vous rappelle ce que vous ne voulez pas voir, ou ne plus voir... parce que vous avez changé et que changer le monde vous est sorti de la tête. Votre petit bonheur de survivre est à ce prix. Pourtant, au cours de ma détention, j’ai vu assez d’automutilations individuelles et collectives qui feraient passer les films gore dont vous vous régalez certains soirs pour des histoires de la comtesse de Ségur. Il faut être dans la forêt pour connaître le cri de l’arbre abattu, et prisonnier pour entendre celui de l’implosion de la raison comme une façon d’échapper au châtiment, à la vie. Au début du mois de mars, un détenu atteint de troubles psychiatriques - un « fatigué », selon nos codes - a détruit sa cellule en pleine nuit. Rien de bien méchant. Au matin et au lieu de laisser un voisin, un infirmier, lui parler... ils envoyèrent une escouade de tuniques bleues. Prenant peur, il s’est défendu et dans la confusion, un brigadier a été blessé. Trois points de suture ! Qu’importe la réalité de sa santé mentale, la loi est la loi. Et le lendemain, le tribunal des flagrants délits de Tarascon le condamna à six mois ferme. En comptant les retraits de grâce, sa peine s’allongera de deux ou trois ans. Et ainsi suivant cette logique, s’ils en réchappent, les malades entrés pour quelques années en feront autant en plus. Comme dit un responsable avec fatalisme : « la prison n’est pas la solution, mais les psychiatres n’en veulent plus dans les asiles ». Et les suicides... Le suicide est-il une norme carcérale ? Avant de venir par ici, je ne savais pas qu’il existait autant de manières différentes de se pendre. L’usage commun veut qu’on se passe la corde au cou et qu’on saute du tabouret. Eh bien non, on peut se pendre assis, à genoux sous un placard, roulé en boule comme une bête... D’ailleurs, il y a une curiosité morbide des autres prisonniers pour le modus-operandi. « Ah c’est ingénieux ! » Comme si dans la voix, on devinait « je te le disais qu’il avait de la classe ». Parfois, on est déçu « Ah la fémorale... bien sûr tu ne souffres pas... » On sent déjà poindre le reproche. Certains à nos mémoires n’existent plus que par leur façon de mourir... Enfin tu te souviens bien du cordonnier de la Santé... oui, rappelle-toi, celui qui s’était égorgé, empoisonné et pendu. On serait même tenté de sortir nos cartons comme un jury de gymnastique ou de patinage artistique. « Oui monsieur, des champions comme ça, on n’en fait plus »... Nous aussi, nous avons nos codes, tout aussi rigoureux sinon plus. Par exemple, on ne salue jamais un pointeur. Pour nous, il n’existe pas. Ce n’est qu’une ombre baissant les yeux. A peine si on laisse la porte ouverte quand il nous suit. Et qu’il ne s’avise pas de sortir du rôle expiatoire de membre de la sous-caste carcérale. Ils vivent entre eux dans l’apartheid accepté. Pour la balance... quand quelqu’un - l’un d’entre nous - dit « j’ai la preuve de son infamie, aux Baumettes, il a... ». On le chasse immédiatement vers l’étage des réprouvés. S’il a fait plus grave, on le punit, enfin s’il est malingre, c’est plus facile. S’il est trop costaud et s’il a des amis, ou si un doute persiste, on lui serre la main mais... à peine du bout des doigts. Non, nous ne sommes pas des anges... Chacun à sa place. C’est un peu pareil chez vous, non ? C’est moins visible..., moins lisible. Avec le temps, vous l’avez intériorisé comme une récitation ancienne. Mais la norme de la prison est toujours à fleur de peau. Prête à vous la crever au fil de la lame, si les autres pensent que vous avez dépassé les bornes. Une loi invisible hante les coursives, et traîne sa punition. Le face à face est matérialisé, filmé, scruté par un ¦il anonyme... celui de la caméra, de la lunette du fusil, de la traîtrise du congénère, du moralisme du groupe - les autres membres de sa caste carcérale... La population pénale est sempiternellement traversée par la contradiction des « Misérables », entre le sublime des Gavroches et le ch¦ur horrible des Ténardiers... Les plus bas instincts de l’appropriation privée, du culte du fric, de la misère morale de nos sociétés côtoient les expressions d’une culture de résistance, d’un certain sens du partage, des rêves d’un autre sort coûte que coûte... De l’autre côté de l’uniforme, du sommet de l’échelle aux derniers échelons, à part quelques maniaques, on ne rencontre que des gens étant là par la force des choses, parce qu’il faut bien « vivre », parce qu’ils n’ont pu trouver mieux. Et ils sont condamnés à ce travail forcé, un peu comme nous en quelque sorte. Tout cela ne peut rien donner de bon. Sans compter que la gestion pénitentiaire s’appuie sur les instincts les plus vils des prisonniers, l’hypocrisie, la tromperie, la soumission, la trahison... Et tout cela n’a qu’un but, gagner un jour, un mois, une année... Perdurer. Tenir. Jusqu’à quand ? Jusqu’à ce que la société dépasse l’horreur des prisons, comme elle dépassa la guillotine, le bagne, les galères, la question ordinaire... ? A moins que « la fin de l’histoire » et la p ost-modernité nous condamnent à vie à accepter la lèpre des murs gris... La crise ? Qu’on se rassure, les budgets sécuritaires ne seront pas touchés par les coupes sombres... Mais là encore, c’est une tendance lourde des nouvelles normes de gouvernement. Comme aux States, les hausses des financements sécuritaires sont proportionnelles à la chute des subventions sociales et éducatives. Les entreprises licencient ? Qu’importe ! Devant le désarroi des laissés pour compte de Metaleurop Nord le sinistre des Prisons, le sieur Bedier sort un QHS de son chapeau. Vous pourrez retrouver du boulot... une super prison sécuritaire sera construite près de chez vous... Chers ouvriers, soyez comblés, vous voilà conviés au Kho Lanta carcéral. Vous aussi, vous pourrez assassiner impunément, lorgner des trous du cul, tabasser de malheureux fous, mater quelques attouchements furtifs derrière l’¦il de la caméra du parloir, et enfin arrondir vos mensualités en trafiquant alcool et drogues diverses... Et bientôt vous porterez la cagoule pour les sales besognes ! D’exploités, vous aurez l’illusion de passer du côté du bâton en vous métamorphosant en supplétifs de l’ordre... de cette dissuasion pesant sur l’échine de vos anciens semblables, de leurs enfants refusant la non-vie des cités, de ceux qui osent se révolter. Combien il aura fallu de renoncements culturels et politiques, d’individualisation, de lavage de cerveau néolibéral pour qu’il n’y ait pas un mot - un seul - de protestation ! Remarquez de la même manière, la « fin de 1’histoire » a condamné à la Prostitution une génération entière de femmes des pays de l’Est sans que cela n’émeuve les donneurs de leçons démocratiques.Et moi, matricule 830c, suis-je enfin de retour à la norme ou sur le point de l’être en ce début de XXIe siècle ? Pour mes congénères, je suis un politique, un « attentat » qui « écrit des livres », et les années passant un « chibani », un ancien perpette... Ma place a été garantie à vie - si j’ose dire - par les tribunaux spéciaux et mon rôle codifié par cette nouvelle existence. Difficile d’en sortir, au propre comme au figuré... Mais pour vous aussi dehors, puis-je changer de rôle ? Bientôt vingt ans et on n’entre en contact avec moi que pour évoquer le côté sombre de l’inacceptable, le souvenir de la violence qu’on disait révolutionnaire. Bien sûr, je pourrais sauter de ce cercle infernal et revenir à l’acceptable. Mais à la condition expresse de proclamer sur la place publique que ce que j’ai fait et ce que j’ai pensé depuis 1981... voire 1968, est seulement d’une qualité inacceptable. En attendant, pour la majorité d’entre vous, je demeure un « has been », irrémédiablement « autiste », quant aux quelques autres anciennement politisés, s’ils préfèrent utiliser les termes « communiste révolutionnaire » ou « anti-impérialiste », c’est pour mieux condamner notre dérive passée. Dans mon existence, j’ai fait un choix : combattre sans calcul personnel pour ce que je crois juste. Et tout naturellement, lutter pour changer la vie engagea toute ma vie sans mégoter, sans marchander, sans demander grâce... Je me souviens de ce que Sébastien Faure a écrit dans La Liberté. « Je plains celui qui peut regarder ces édifices - les prisons - en se disant : « je ne serais jamais enfermé dans ces murs ! » Celui-là ne peut avoir ni dignité, ni passion, ni courage, ni conviction. Il est le plat valet des oppresseurs, prêt à se faire oppresseur lui-même... ».

Jean-Marc Rouillan


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