Je ne pouvais pas ne pas saisir l’occasion qui m’est offerte afin que Titto et Alessio (1) puissent pour une fois entendre mon salut de vive voix plutôt que de se contenter de le lire sur un morceau de papier. D’autre part, je suis sûr que ceux qui hurleront sous les murs de vos cages ressentiront la même rage qui tord mes tripes, la même passion qui pompe le sang de mes veines, la même complicité qui nous unit, ainsi leur voix sonnera et tremblera comme le ferait la mienne.
Je voudrai hurler pour vous faire comprendre ce que j’éprouve, vous embrasser pour vous faire à nouveau sentir être frères et sœurs, mais les nécessités imposent que ce que je ressens soit médié par les mots. Ainsi, avant de scander un peu de rhétorique, je voudrais simplement vous dire que je suis avec vous !
Caressez et aimez les barreaux de vos cellules, et lorsque vous sortirez, emportez-en un, nous l’assouplirons à la flamme de notre colère et nous le façonnerons sous les coups de notre détermination ; nous ferons la liste de tous les souvenirs de ce que nous avons subi et lorsque le fer sera assez aiguisé, nous frapperons nos ennemis avec, ils tâteront ainsi un peu de leurs propres armes, celles que nous aurons retournées contre eux par notre volonté.
Je ne doute pas que vous réussirez à résister et à sortir la tête haute, j’espère seulement pouvoir vous rencontrer avec un sourire et nous pourrons alors nous embrasser comme des frères.
Je voudrai aussi porter ma solidarité et ma complicité aux autres enfermés dans l’abominable Vallette, non pas parce que vous êtes d’innocentes victimes de la violence étatique, mais plutôt parce que vous n’êtes pas restés couchés face à lui et vous en avez défié les lois. Je suis bien plus proche de n’importe quel/le rebelle social/e que de tous ces anarchistes qui se vomissent dessus avec leurs paroles et ne passent jamais à l’action. Quant aux compagnons et compagnonnes solidaires, je n’aurai presque aucune parole pour vous, parce que je sais que vous n’en avez pas besoin pour connaître l’horreur carcérale, et d’autre part parce que toute parole destinée à fournir des explications ne peut être reçue que par les oreilles de ceux qui sentent déjà instinctivement qu’il est inacceptable d’enfermer dans une cage un homme ou une femme.
Pour plusieurs raisons, un rassemblement sous une prison est une forme de critique efficace contre son existence. On peut en effet y porter son propre salut aux compagnon/nes incarcéré/es et aux autres prisonniers/ères, et la force que ces gestes peuvent leur donner est inimaginable. On rompt le mur du silence et d’isolement qui est nécessaire afin de rendre ces cages acceptables, parce qu’on se rappelle que des hommes et des femmes, et non pas des délits, sont enfermés dedans. On se rappelle qu’ils/elles subissent quotidiennement les injustices et les humiliations des matons, qu’il n’y a pas de plus grande violence ni de délit plus grave que se priver un homme ou une femme de liberté. De plus, pour nous anarchistes, il est important de montrer, en un moment où la répression devient toujours plus dure, que nous ne voulons pas nous arrêter et que nous savons réagir aux coups infligés.
Si séquestrer un/e compagnon/ne est une tentative d’arrêter la lutte, ils se trompent, car d’autres reprendront leurs armes.
Si frapper une réalité [un “ milieu ”] active est une méthode pour démoraliser, ils se trompent, la rage ne fait qu’augmenter notre détermination.
S’ils espèrent faire plier en prison ceux qui ont déclaré à l’extérieur la guerre à l’existant, ce ne sont que de pauvres illusions.
S’ils espèrent que ceux qui restent à l’extérieur s’auto-limitent, deviennent leur propre flic par peur de finir dedans, cette initiative le dément.
Si par le chantage de continuer à nous maintenir prisonniers, ils espèrent obliger nos compagnon/nes à suspendre les pratiques d’attaques directes, c’est à nous, prisonniers, de refuser d’être des instruments passifs de la rébellion et d’inciter les compagnon/nes à festoyer avec nous, séquestrés par l’Etat, pour une liberté ici et maintenant. Nous danserons avec vos cris, nos cellules s’illumineront avec les flammes de mille incendies, nous porterons toujours un toast à chaque geste de rébellion et de solidarité.
Ne cessez jamais de lutter et nous serons libres à vos côtés, même reclus derrière les murs d’une prison.
Un compagnon libre, aujourd’hui avec le cœur parmi vous sous le Vallette, non pas innocent mais coupable d’avoir trop aimé et désiré la liberté.
Sergio Maria Stefani,
ex-prisonnier à Palmi dans le cadre de l’opération Cervantes, en résidence surveillée depuis mars 2005.
NdT :
(1) David Santini, “ Titto ”, est l’un des trois encore emprisonnés de l’opération Cervantes du 27 juillet 2004. Alessio Perondi est l’un des deux incarcérés de l’enquête menée à Pise contre les Cellules d’Offensive Révolutionnaire (COR), depuis le 7 juin 2004. Tous deux sont enfermés à la prison de Turin, Le Valette.
[Publié sur anarcotico.net le 18 avril 2005]