« PERSONNE NE PEUT SURVIVRE TOUT SEUL »
Quelqu’un m’a dit une fois : « personne ne peut survivre tout seul ». A cette époque là, je croyais pareil. Avec les années et mes circonstances, mes idées ont changé : on peut survivre seul, mais tu deviens une pierre.
L’isolement commence à te pétrifier depuis l’instant où on te dissocie de tous les stimulis vitaux, émotionnels, sensoriels, psychologiques, physiques, intellectuels, spatiaux, sociaux...
L’isolement t’endurcis de telle manière que tu commences à entendre le grincement sec et monotone de tes neurones. Tout ton être se rétro-alimente constamment de souvenirs et d’expériences passées. Ils t’abrutissent, t’animalisent et une seule chose anime ta putride humanité : le désir de liberté.
Treize ou quatorze ans d’isolement dans tout l’état m’ont appris la langue des pierres. C’est un peu comme si t’étais une montagne perdue au milieu du NEANT qui écoute et sent le pas des vents, et les pluies, et les implacables rayons solaires, érodant chaque grain de ton humanité pétrifiée. C’est un peu comme être une pierre au service et aux caprices des Eléments (Naturels ?)
Et moi qui ne suis qu’une petite pierre des chemins, j’ai connu des montagnes humaines désintégrées au milieu de ce NEANT jusqu’à être poudre dans ma mémoire.
Jamais je n’ai entendu la lamentation de ces Monuments à la Dignité Humaine : je n’ai pas non plus entendu les protestations de la race humaine devant ces Morts si précoces à la Dignité Humaine.
Et comme le dit le poète Léon Felipe :
« ...comme toi, petite pierre,
comme toi, je chante que tu roules,
comme toi, ... »
Quelqu’un m’a dit une fois « Personne ne peut survivre tout seul ».
Gabriel 1° sept 2000
Centre d’extermination de LANGRAITZ (Espagne)
[Texte paru dans la brochure Résistance(s) au carcéral, mai 2002, p.56]