Contribution depuis Huelva
Chers compagnons, quelques considérations sur la façon dont se déroulent les luttes ici contre le système pénitentiaire.
J’ai un peu honte d’utiliser le mot “lutte”, puisque se limiter à des grèves de la faim, de la soif et de promenade, etc... pour moi ce n’est pas une lutte, mais simplement faire la publicité de la situation extrême à laquelle nous sommes soumis.
Au début, les grèves étaient nécessaires, disons indispensables, pour éveiller ce mouvement anarchiste endormi, mais maintenant il semble que ce soit devenu la seule forme extrême de lutte. Disons que tous se mettent un peu le cœur en paix, ils n’ont ainsi pas le souci de penser à d’autres formes plus incisives pour attaquer le système.
Par des nouvelles arrivées de l’extérieur, j’ai le sentiment qu’on se trouve dans un moment de “désillusion”, de découragement généralisé dans lequel chacun vit ses frustrations, ne voulant pas comprendre que nous souffrons tous des mêmes maux.
Les conséquences de l’arrestation de quelques compagnons engagés dans la campagne de solidarité ont provoqué un déchirement à l’intérieur du mouvement, en Espagne et ailleurs, et ce déchirement provoqué par l’imbécillité de quelques compagnons a failli devenir une tragédie parce qu’ils freinaient le développement d’initiatives et les tentatives d’élargir les contacts comme la synchronisation entre les groupes et les situations du mouvement international dans son ensemble !
La situation est ainsi, excepté pour ceux qui se trouvent sur d’autres longueurs d’onde, mais qui ne sont pas nombreux. C’est un problème... Surtout que dans ma condition de prisonnier, je ne sais pas quelle pourrait être la solution. Peut-être que même en étant à l’extérieur, je ne le saurais pas non plus... Même si j’aurais bien quelques idées positives allant dans ce sens.
Quand je reçois des lettres des compagnons du mouvement anar qui me demandent ce qu’ils pourraient faire pour être plus présents en soutien aux revendications des détenus, je leur conseille encore une fois de lire avec plus d’attention ce qui a été écrit dans “Contributo alla lotta contro il carcere” de Constantino Cavalleri aux éditions Anarkivu, texte qui a circulé sous forme de brochure aussi traduite en castillan, à plus de 2000 exemplaires. S’ils l’avaient fait, il ne serait pas nécessaire de me demander que faire. Ainsi j’en déduis que même avec une contribution valable et claire, ils ne savent ou veulent faire quelque chose de vraiment sérieux.
Il y a un autre aspect, qui est que c’est à nous détenus de tracer une ligne de lutte de l’intérieur des prisons, nous ne pouvons pas demander au mouvement anarchiste qu’il fasse à notre place ce que nous aurions dû faire depuis longtemps.
La proposition sérieuse de lutte, nous l’avons lancée aux quatre vents et elle a été publiée dans la revue “Senza Censura” n°5, juin 2001, page 47, qui disait en résumé : “si vous nous obligez à vivre dans la merde, que vivent aussi dans la merde ceux qui nous surveillent”. Il s’agissait d’obstruer les toilettes de façon à ce que la tuyauterie explose dans toute la division FIES, et c’est ce qui s’est passé dans la prison de Picassent à Valence. Après une semaine employée à obstruer les toilettes avec des chiffons, sacs plastique, etc., la tuyauterie sauta en inondant également de merde les locaux normalement fréquentés (pour leur travail) par les gardiens, les obligeant à fermer immédiatement la division entière pour cause de grave danger d’infection et aussi parce qu’ils n’avaient pas le courage de travailler avec un demi-mètre de merde sur le sol. Moi-même, nous, on s’en fout de rester pendant des mois avec de la merde dans les cellules..., mais pour les gardiens ça les dérange, et faut voir comment !
Combien de fois avons-nous demandé la fermeture des FIES lors de grèves de la faim ? Mais il suffit de les remplir de merde pour les fermer momentanément... Vous vous imaginez si tous les FIES étaient remplis d’excréments ? Seule l’économie et l’existence rassurée de ses serfs intéresse le pouvoir. A ceux-ci un bon salaire ne suffit pas, ils demandent aussi des bonnes conditions sur leur lieu de travail... et avec la merde, on ne joue plus. Personne ne veut avoir affaire à elle. Cette grande proposition, nous l’avons faite circuler un peu partout avec d’autres propositions de sabotage continus et répétées contre les structures de vigilance et de contrôle, caméras, détecteurs de métaux, etc. mais il n’y a pas eu de réponses si ce n’est en de rares occasions. L’astuce, si on peut l’appeler ainsi, est de briser et de saboter sans être vu, sans que les chiens puissent t’accuser de l’avoir fait, surtout que pour un verre cassé, ils peuvent augmenter ta condamnation de deux années.
Avec ça, je voulais vous faire savoir que la faute ne repose pas uniquement sur le mouvement anarchiste et que les détenus eux-mêmes sont responsables du fait que les choses ne marchent pas comme elles le devraient. Peut-être est-ce une question de temps, que le nombre de rebelles prêts à tout augmente, que la répression augmente et que logiquement la rage devrait s’élever... Il y a déjà des signes évidents de plusieurs personnes qui en ont ras le bol de supporter tant d’injustices. J’ai lu il y a quelques jours dans une revue qui s’occupe des prisons, des lettres dans lesquelles on pouvait lire qu’il faut donner ce qu’ils méritent aux matons afin qu’ils sachent ce qu’est le pouvoir de leur loi... la loi du plus fort ! ! ! D’autres disent qu’ “ils nous divisent avec la drogue, les avantages pénitentiaires et la ruse, qu’il faut mener une lutte furieuse contre les gardiens et ceux qui les paient pour nous torturer”. Il y a aussi ceux qui se plaignent que les choses ne sont plus comme lorsqu’il y avait des compagnons en prison. Gardons à l’esprit qu’au moment où environ 400 prisonniers ont commencé la grève de la faim, à peine 10 % étaient d’accord pour mener une lutte de basse intensité (sabotages). Quant à celle de haute intensité (sans armes), nous ne pouvons pas la déclarer notamment parce que ces structures sont conçues de façon à ce que la surveillance puisse te bloquer seul avec 15 ou 20 matons armés jusqu’aux dents (anti-émeute). Mais une chose est claire et doit l’être pour tous ceux qui subissent les tortures et l’injustice, c’est que rien ne doit être oublié, et qu’à la première occasion, quand tu le décides toi et non pas eux, nous avons le devoir de nous venger de nos tortionnaires.
Par exemple à Jaen, dans la prison où j’étais avant, si un compagnon était torturé ou insulté, le jour même on frappait aux portes toute la nuit (personne ne pouvait dormir car le bruit s’entendait sur plusieurs kilomètres) et on insultait le directeur par les fenêtres, on n’oubliait pas la guerre de basse intensité. Cela nous coûtait cher, mais on obtenait presque toujours ce qu’on demandait, généralement l’éloignement des gardiens tortionnaires, ce que nous fêtions toujours comme une victoire.
Des idées, il y en a plein, tant écrites que dites, nous les avons aussi mises en pratique et cela a marché... si on ne le fait pas c’est parce qu’on ne le veut pas ou parce qu’il y a beaucoup à perdre. C’est clair que s’il y avait un bon appui du mouvement extérieur, ce serait peut-être différent... Mais il n’y en a pas et il ne reste donc qu’à attendre des temps meilleurs. Il est vrai aussi que ce qui n’existe pas, on peut commencer à le construire, comme d’habitude le problème est de trouver ceux qui en ont envie. Il existe ici une classe de solidarité complice entre ceux qui subissent les mêmes peines, entre FIES et 1er degré il y a toujours beaucoup de solidarité, le 2e degré c’est une autre planète, le 3e degré c’est une autre galaxie.
Dernièrement, j’ai été mis dans un module d’isolement à Cordoba. Dans ce module, on peut trouver n’importe qui, mais moi ils ne m’y mettaient pas souvent parce qu’on me disait que sur 1600 détenus enfermés à Cordoba, j’étais le plus dangereux... Blague à part, quand on est là, on sent combien les prisonniers sont maltraités, mais personne ne bronche. Chose qui serait impensable dans un module où il n’y a que des rebelles, avec ou sans formation politique. Ce manque de solidarité est dû aux différences engendrées par les avantages pénitentiaires. Comme dans la société libre, ceux qui ont plus ne s’intéressent pas à la situation de ceux qui n’ont rien. Un prisonnier FIES n’a rien. Pour lui la prison est un enfer. Une personne en second degré a presque tout, telle est la différence. Et croyez-moi, la distance entre une réalité et l’autre, on peut la calculer en années-lumière.
Ceci est mon communiqué, surtout pour vous faire connaître la prison et ses réalités. Comme je l’ai déjà dit une autre fois, plus on connaît l’ennemi, plus il sera facile de le combattre.
Post-scriptum : J’ai oublié de vous dire que malgré tout, le mouvement anarchiste engagé a su avancer avec succès dans la construction des “ponts” entre les prisonniers et les réalités en lutte à l’extérieur. Des “ponts” faits de contacts épistolaires, de solidarité par le biais de l’envoi de journaux, argent, par l’envoi de communiqués de dénonciation aux tribunaux, par l’appui à travers les marches de protestation bruyantes et les banderoles hors des prisons, les débats publics, les expositions dans la rue avec des photos pour faire comprendre à l’opinion publique ce que sont les modules FIES, les revues, les brochures, etc. Toutes ces choses qui dans leur ensemble nous ont permis d’organiser des actes de revendication par le biais de grèves, etc. Et c’est déjà pas mal !Nous savons malheureusement qu’il manque l’élément principal sans lequel se produit immanquablement la fatigue et la désillusion... le succès !
Accolade fraternelle
Claudio Lavazza
5 mai 2002
[Traduit de l’italien par CS. Cette contribution a été lue le 22 juin 2002 lors d’un rassemblement devant la prison de Biella]
Pour lui écrire (italien, espagnol) :
Claudio Lavazza, Centro Penitenciaro Huelva, Ctra de la Ribera s/n, 21 610 Huelva
Texte publié dans le numéro 85 de "Cette Semaine", août/septembre 2002, pp. 28-29
http://cettesemaine.free.fr/
Source :
http://toutmondehors.free.fr/fies/cs85huelva.html